Dennis Villeneuve s'attaque à une séquelle tardive du classique de Ridley Scott en s'interrogeant sur la capacité d'émotions des êtres artificiels
La mise en chantier d’une séquelle tardive n’est pas toujours une bonne nouvelle. D’autant que ce nouveau Blade Runner mit beaucoup de temps à trouver sa voie, annoncé dès 1999 et sans cesse repoussé jusqu’à atterrir entre les mains de Denis Villeneuve, avec la bénédiction d’un Ridley Scott se contentant cette fois-ci du fauteuil du producteur. Deux paramètres favorisaient la circonspection des spectateurs au regard de cette suite : la suffisance contemplative à la morale douteuse dont Villeneuve avait affublé sa précédente tentative dans le domaine de la science-fiction, Premier Contact, et la déstabilisante tentative de résurrection d’une autre saga d’anticipation de Ridley Scott à travers les insaisissables Prometheus et Alien Covenant. Mais les écueils qui pouvaient légitimement être craints sont évités avec beaucoup d’habileté dans ce Blade Runner 2049 qui parvient à succéder sans rougir à son aîné de trente-cinq ans.
En 2049, le statut des réplicants a changé. Si les anciens modèles sont toujours des fugitifs qu’il faut pourchasser et éliminer à cause d’inquiétantes anomalies de comportement, les nouvelles créations de la compagnie Wallace, ayant succédé à la moribonde Tyrell Corporation, sont parfaitement intégrées à la société. Certains sont même des Blade Runner, autrement dit des chasseurs d’anciens réplicants. C’est le cas de l’agent K (Ryan Gosling), qui poursuit ses semblables défectueux et essuie quelques remarques racistes anti-robots sans trop d’état d’âme. Jusqu’au jour où une découverte inattendue s’apprête à bouleverser tout ce qu’il croit savoir. Pour trouver les réponses qui le taraudent, il va devoir retrouver la trace d’un ancien Blade Runner, Rick Deckard, toujours incarné par l’irremplaçable Harrison Ford.
Un androïde peut-il s'émouvoir ?
Poursuivant et transcendant les passionnantes thématiques développées par son prédécesseur, Blade Runner 2049 place au cœur de sa narration la question de la possibilité d’une émotion artificielle. Un androïde peut-il s’émouvoir pour un souvenir d’enfance implanté ? Pour une idylle factice ? Pour une filiation reconstituée ? Où l’artificialité s’arrête-t-elle et où la réalité des sentiments prend-elle le pas ? La problématique est finalement traitée avec beaucoup de finesse et de retenue, s’inscrivant dans la continuité des enjeux déclinés par Steven Spielberg dans A.I. Intelligence Artificielle de Steven Spielberg. La réussite du film repose sur sa capacité à équilibrer la force de son intrigue et sa beauté plastique, l’une se nourrissant sans cesse de l’autre. La direction artistique, respectueuse de l’esthétique définie par Ridley Scott, s’avère somptueuse et les effets visuels ne jouent jamais la carte de la bande-démo ostentatoire, s’inscrivant dans la continuité parfaite des travaux de Douglas Trumbull. Le surréalisme est même de la partie lorsque Ryan Gosling erre dans le désert ocre d’un Las Vegas déchu au milieu de gigantesques statues féminines brisées, symbole presque biblique d’une chute de la civilisation. Denis Villeneuve remporte donc le pari haut la main, sans doute mieux que Ridley Scott ne l’aurait fait lui-même, les derniers films du père des Duellistes et d’Alien faisant preuve d’une misanthropie qui n’auraient guère convenu à ce nouveau Blade Runner. Car ici point une note d’espoir qui n’est pas sans évoquer un autre classique du genre : Les Fils de l’Homme d’Alfonso Cuaron.
© Gilles Penso
Partagez cet article