Steven Spielberg s'empare d'un célèbre roman pour enfants de Roald Dahl et en tire un film féerique plus grand que nature
THE BIG FRIENDLY GIANT
2016 – USA
Réalisé par Steven Spielberg
Avec Ruby Barnhill, Mark Rylance, Penelope Wilton, Rebecca Hall, rafe Spall, Jemaine Clement, Bill Hader, Adam Godley
THEMA CONTES I NAINS ET GEANTS I SAGA STEVEN SPIELBERG
Tout au long de sa carrière, Steven Spielberg n’aura cessé de décliner le motif récurrent du fils perdu et de la quête du père. Le Bon Gros Géant ne déroge pas à cette règle, même si le cinéaste s’efforce ici de faire coïncider son propre univers à celui – déjà très codifié – du romancier Roald Dahl. S’il s’était agi d’un scénario original, nul doute que la petite orpheline Sophie emmenée au pays des géants aurait été un jeune garçon, mais « Le Bon Gros Géant » est un roman trop célèbre et trop populaire pour laisser beaucoup de marge de manœuvre au cinéaste. Spielberg doit donc composer avec un personnage principal féminin tout en insistant sur son statut d’orpheline, son titanesque kidnappeur se muant progressivement en père de substitution.
Le film ajoute cependant un élément plus personnel : un petit garçon que le BGG avait capturé avant Sophie, avec qui s’était établi un lien très fort et interdépendant, jusqu’à ce que l’enfant ne soit dévoré par le redoutable Avaleur de Chair Fraîche. La découverte de la chambre jadis occupée par ce « fils adoptif », tapissée de dessins et de souvenirs, est probablement la scène la plus forte et la plus émouvante du film, celle où Spielberg peut le mieux affirmer sa personnalité. Assez curieusement, la mise en scène du père d’E.T. n’est pas immédiatement identifiable dans Le Bon Gros Géant, comme si ses effets de style étaient contraints de s’effacer quelque peu derrière la prodigieuse technologie développée par les équipes surdouées de Weta. Plus étrange encore : lorsque le film bascule dans la comédie pure au cours des séquences se déroulant au palais de Buckingham, le réalisateur opte pour un académisme désarmant.
Un grain de folie édulcoré
C’est probablement là que le bât blesse : un refus d’entrer en phase avec le grain de folie du livre, sa gausserie permanente, sa critique acerbe des hommes qui, en filigrane, n’est pas sans rappeler le verbe acide de Jonathan Swift dans « Les Voyages de Gulliver ». Sans doute trop sage et trop axé sur une narration au premier degré, le film préfère l’émerveillement à l’ironie et finit du coup par rater le coche. Car le livre était conçu comme une histoire que l’on lit au coucher, construite quasiment comme si elle s’improvisait au fur et à mesure de son élaboration. D’où une série de collages surréalistes et ludiques comme les nombreux rêves délirants que le BGG a enfermé dans des bocaux, et que le dessinateur Quentin Blake illustra à l’origine avec la poésie épurée d’un Sempé. Cette scène aurait pu donner lieu à un enchaînement de vignettes absurdes, drôles et cocasses, mais il eut sans doute fallu un Terry Gilliam ou un Jean-Pierre Jeunet pour leur donner corps avec toute l’espièglerie requise. On sent bien que Spielberg n’est pas très à l’aise avec la « non dramaturgie » du livre et qu’il cherche par tous les moyens à en rationaliser la structure pour mieux la conformer à son approche cinématographique. Comme tous les travaux du cinéaste, le film contient son lot de surprises, de tours de force et de fulgurances, mais il restera sans doute dans les mémoires comme une œuvre mineure de son auteur… ce qui est un comble au regard de la taille de la majorité de ses personnages !
© Gilles Penso
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