Une œuvre troublante et onirique dont l'influence sur la littérature et le cinéma fantastique aura été considérable
CARNIVAL OF SOULD
1962 – USA
Réalisé par Herk Harvey
Avec Candace Hilligoss, Frances Feist, Sidney Berger, Art Ellison, Stan Levitt, Tom McGinnis, Forbes Caldwell, Dan Palmquist
THEMA MORT
Lorsqu’il réalisa Carnival of Souls, avec un budget d’une vingtaine de milliers de dollars et un planning de tournage limité à trois petites semaines, Herk Harvey ne se doutait pas qu’il offrirait au public l’une des œuvres fantastiques les plus influentes de son époque. David Lynch et Tim Burton en ont fait un film de chevet, et l’on en ressent fortement l’empreinte sur des œuvres aussi diverses que Répulsion, La Nuit des Morts-Vivants, Alice ou la dernière Fugue, Sixième Sens, L’Echelle de Jacob, Stay, Reeker ou encore Dorothy. Stephen King lui-même n’échappa pas à l’influence, le carnaval macabre décrit dans le roman « Shining » présentant de nombreuses similitudes avec celui de Carnival of Souls. Tout commence lorsque Mary Henry, interprétée par Candace Hilligoss, passe une journée radieuse en voiture avec deux de ses amies. Acceptant une course de voiture façon James Dean, les trois jeunes filles s’élancent sur la route à toute vitesse, mais une fausse manœuvre provoque un accident fatal. La voiture fait une embardée sur un pont et tombe à l’eau. Echappant de peu à la noyade, Mary émerge des flots, hébétée, telle une somnambule. Il lui faut bien sûr du temps pour reprendre ses esprits et le cours de sa vie. Elle accepte alors un travail d’organiste d’église dans une nouvelle ville, et tout semble rentrer dans l’ordre, jusqu’à ce que les apparitions d’un homme sinistre au teint blafard ne viennent la hanter jour et nuit. S’agit-il d’un fantôme, d’un mort-vivant, ou du fruit de son imagination ?
Autre bizarrerie inquiétante : par moments, en plein lieu public, Mary constate que plus personne ne semble la voir ou l’entendre, comme si elle disparaissait provisoirement de la surface de la terre… Le mystère s’épaissit, les phénomènes insolites se multiplient, jusqu’à ce climax d’anthologie situé dans le fameux carnaval hanté où une masse de trépassés hagards, préfiguration des morts-vivants de George Romero, se dressent sur son chemin, visions de cauchemar d’autant plus éprouvantes qu’elles ne trouvent aucune explication logique… C’est la chute, abrupte, concise et digne de celle d’un épisode de La Quatrième Dimension, qui remet enfin tout en perspective et donne une réponse à toutes les énigmes. Cette chute – que nous ne révèlerons évidemment pas – a depuis été reprise, plagiée, imitée à travers maintes variantes, galvaudant quelque peu la surprise initiale.
L'épouvante viscérale et les peurs universelles
Si l’impact de Canival of Souls s’en trouve fatalement amenuisé, il n’en demeure pas moins une œuvre cruciale et matricielle, tirant parti de la faiblesse de ses moyens pour tutoyer l’épouvante viscérale et les peurs universelles sans artifices (comme plus tard Roman Polanski et sa fameuse trilogie de l’enfermement), et ouvrant l’horreur psychologique vers une voie nouvelle, quelque part à mi-chemin entre la psychanalyse, l’onirisme et la poésie surréaliste. Quelque peu surpris par la popularité de son long-métrage, Herk Harvey revint ensuite à ses activités premières, la réalisation de films institutionnels et éducatifs, jusqu’au début des années 80. En 1996, il s’éteignait dans le Kansas qui le vit grandir, laissant derrière lui trente-cinq ans de production documentaire et ce film unique qui lui valut la reconnaissance éternelle auprès de la communauté cinéphile.
© Gilles Penso
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