Agressée, exploitée, mutilée, une jeune fille muette se transforme en ange vengeur et exterminateur
THRILLER
1973 – SUEDE
Réalisé par Bo Arne Vibenius
Avec Christina Lindberg, Heinz Hopf, Despina Tomazani, Per-Axel Arosenius, Solveig Andersson, Björn Kristiansson
THEMA TUEURS
Dépité par le cuisant échec de son premier long-métrage, le conte fantastique tout public Hur Marie Träffade Frederik, le cinéaste suédois Bo Arne Vibenius décida d’en prendre le total contrepied en imaginant un film violent et délibérément adulte qu’il baptisa Thriller : En Grym Film (autrement dit « Thriller : un film cruel »). Difficile d’être plus explicite. En revanche, quand on sait que Vibenius s’efforça de faire de Thriller le film le plus commercial et le plus rentable possible, on se perd quelque peu en conjectures. Certes, le sang et le sexe, omniprésents tout au long du métrage, étaient alors des valeurs marchandes incontestables. Mais les partis pris de mise en scène de Vibenius sont étranges, conceptuels, souvent déstabilisants, à tel point qu’ils muent parfois Thriller en œuvre macabrement poétique, loin des canons habituels du cinéma d’exploitation. Quant aux inserts pornographiques que le réalisateur fit ajouter dans certaines copies du film, ils sont traités cliniquement, sans aucun glamour, soutenus de surcroît par des effets sonores plus propices à un film d’horreur qu’à une grivoiserie classée X.
Dès ses prémisses, Thriller est anxiogène. Une fillette y est agressée sexuellement dans un parc par un vagabond. Certes, tout se joue hors champ, mais le malaise demeure intense. Rendue muette par ce traumatisme, Madeleine (Christina Lindberg) grandit et travaille dans la ferme d’un village, son visage angélique camouflant une fêlure encore vive. Un soir, elle rate son bus et accepte d’être accompagnée en voiture par un homme séduisant, Tony (Heinz Hopf), qui révèle bientôt sa véritable nature. Proxénète impitoyable, il drogue la jeune fille, la rend dépendante à l’héroïne et la prostitue. Alors qu’elle se refuse à son premier client, lui griffant violemment le visage, Tony décide de lui donner une leçon. Armé d’un couteau, il lui crève un œil. Digne de Lucio Fulci, la scène est d’autant plus choquante qu’elle est filmée en gros plans. Et les conditions dans lesquelles cet « effet spécial » fut tourné n’en atténuent nullement l’impact, bien au contraire. Jusqu’au-boutiste, le réalisateur utilisa en effet le cadavre d’une jeune fille, entreposé dans la morgue locale, qu’il fit maquiller comme sa comédienne et dans l’œil duquel il fit enfoncer une lame de couteau !
Œil pour œil
Madeleine prépare dès lors sa vengeance, économisant tout ce qu’elle gagne pour prendre des leçons de conduite, d’arts martiaux et de tir. La seconde partie du film mue donc notre victime muette et éborgnée en ange exterminateur, basculant dans une irréalité telle qu’on en vient à douter de la réalité des faits narrés (et si tout se passait dans la tête de Madeleine ?). Car les incohérences comportementales de la vengeresse sont légion et ses aptitudes physiques s’avèrent soudain surhumaines (elle neutralise tous les hommes rompus au combat en un claquement de doigt), tandis que l’abus de ralentis extrêmes pendant les séquences d’action frôle parfois l’abstraction. Ses excès et son caractère insolite permirent à Thriller d’atteindre aisément le statut de film culte, son titre variant au gré des distributions : Crime à Froid, They Call Her One Eye ou carrément Hooker’s Revenge.
© Gilles Penso
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