Avec son premier long-métrage, Vincenzo bâtit un huis-clos magistral reposant sur des mécanismes de suspense redoutablement efficaces
CUBE
1997 – CANADA
Réalisé par Vincenzo Natali
Avec David Hewlett, Maurice Dean Wint, Nicole De Boer, Nicky Guadagni, Andrew Miller, Julian Richings
THEMA MEDECINE EN FOLIE I SAGA CUBE
Né à Detroit, Vincenzo Natali grandit au Canada en développant une passion croissante pour la science-fiction. Il fiat ses premières armes comme storyboarder sur de nombreuses séries animées telles que Beetlejuice, Les Aventures de Tintin ou Fievel. Son savoir-faire s’étend ensuite aux longs-métrages en prises de vues réelles, à travers les storyboards de Johnny Mnemonic ou Ginger Snaps. Bien décidé à franchir le cap de la mise en scène, Natali se lance en 1997 dans un court-métrage baptisé Elevated, qui sert d’inspiration à son premier long-métrage Cube. « L’idéal était de trouver une histoire qui pourrait se dérouler dans un décor unique », raconte-t-il. « Mais je ne voulais pas faire de drame ou de comédie romantique. Comment réaliser un film de science-fiction situé dans un seul endroit clos ? J’ai trouvé la solution en imaginant qu’un décor unique pouvait être utilisé pour faire croire qu’il y en avait beaucoup d’autres. C’est alors qu’est venue l’idée d’un labyrinthe constitué d’une infinité de pièces identiques. » (1) Le postulat de Cube est donc le suivant : cinq personnes qui ne se connaissent pas se réveillent dans une pièce en forme de cube et tentent de s’en échapper tout en tâchant de comprendre où ils sont et qui les y a mis. La triple unité (temps, lieu, action) citée par Nicolas Boileau dans son Art Poétique est donc de mise dans Cube, un véritable exercice de style conçu avec les moyens les plus modestes, autrement dit cinq comédiens, un seul décor et 365 000 dollars canadiens en guise de budget. La simplicité du point de départ et les multiples possibilités qu’il offre, élevant la narration vers des sphères métaphysiques, évoquent beaucoup La Quatrième dimension, et notamment l’épisode « Cinq personnages en quête d’une sortie », écrit par Rod Serling et réalisé par Lamont Johnson, qui n’était pas sans évoquer lui-même le célèbre « Huis-clos » de Jean-Paul Sartre. « On me parle souvent de cet épisode, mais pour être tout à fait honnête avec vous, je ne m’en suis pas inspiré », avoue Natali. » La seule chose qui ait dicté le scénario de Cube était le manque de budget ! » (2)
Le moteur principal de Cube est le suspense. En ce sens, Natali a bien retenu la leçon édictée par Steven Spielberg dans Les Dents de la mer, qui consiste à amorcer le film par une séquence traumatique pour ensuite laisser fonctionner l’imagination du spectateur. Ainsi, Cube commence par l’éveil d’un homme à l’intérieur du mystérieux quadrilatère. Quatre issues s’offrent à lui. Il en choisit une, s’engage dans le tunnel, puis se fige brutalement avant de se disloquer complètement, découpé en mille petits cubes par un filet très acéré ! La surprise de ce piège digne d’un cartoon, la précision du montage et la perfection des effets visuels rendent la séquence diablement efficace. Natali se contente ensuite, tout au long du film, d’aiguillonner les sens du public en le poussant à se demander où sont les pièges et en quoi ils consistent. Il ne recourra qu’une nouvelle fois à un effet choc, lorsqu’un piège crématoire du plus surprenant effet fait fondre le visage d’une victime.
La redistribution des cartes
La séquence de suspense la plus éprouvante de Cube est directement héritée du Mission Impossible de Brian de Palma. Tous les protagonistes y sont en équilibre instable, obligés de n’émettre aucun son sous peine d’être réduits en pièces par un piège invisible. Mais le concept même du film et les scènes de suspense n’auraient pas suffi seuls à faire tenir le récit sur la durée d’un long métrage. Grand maître dans l’art de manipuler le public, Natali ajoute donc dans son cocktail un piment supplémentaire lié aux personnages eux-mêmes. Au début du film, les fonctions de héros, de traître, de sauveur et de fardeau sont réparties de manière assez évidente. Mais au fil des événements, la donne change progressivement et la distribution des rôles se modifie, à l’instar de l’architecture du cube lui-même. Quant au dénouement, il laissera les spectateurs au choix frustrés ou ébahis… « Je ne vous dirai pas ce qu’il y a à l’extérieur du cube pour une raison très simple : je n’en sais rien », avoue le cinéaste. « En faisant ce film, nous voulions ouvertement laisser cette question en suspens. Et c’est ce qui me plaît en tant que spectateur. J’aime qu’on laisse quelques portes ouvertes pour mon imagination. En ne donnant pas les clefs du mystère, en ne montrant pas ce qui se situe au-delà des limites du cube, ce lieu demeure une énigme et entre dans le domaine de la métaphore. » (3)
(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en février 2010.
© Gilles Penso
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