Echec cuisant au moment de sa sortie, ce remake du classique de 1951 est aujourd'hui considéré comme le chef d'œuvre ultime de John Carpenter
THE THING
1982 – USA
Réalisé par John Carpenter
Avec Kurt Russell, Wilford Brimley, T.K. Carter, David Clennon, Keith David, Richard A. Dysart, Donald Moffat
THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA JOHN CARPENTER
Remake de La Chose d’un autre monde, réalisé en 1951 par Howard Hawks et Christian Niby, et adaptation de la nouvelle « Who Goes There ? » de John Campbell, The Thing comporte quelques-unes des scènes les plus horriblement délirantes qu’on ait vues de mémoire de cinéphile. La chose extra-terrestre sans forme qui donne son titre au film est tombée du ciel 10 000 ans avant notre ère. Elle a la particularité d’absorber tout être vivant et de s’insinuer dans son enveloppe charnelle après une horrible métamorphose. Or cette « chose » s’est introduite dans une base américaine de recherches scientifiques, isolée dans l’Antarctique. A la suite d’une tempête de neige, la station est coupée du reste du monde. La chose investit d’abord un chien de traîneau, dont la tête se déchire en deux et dont le corps se recouvre de tentacules, puis occupe le corps de l’un des douze membres de l’expédition. Mais lequel est-ce ? Et comment le reconnaître ?
Les virtuoses des images de synthèse ont beau améliorer chaque jour leur savoir-faire et leur technologie, aucun d’entre eux n’est encore parvenu à égaler cette monstrueuse créature polymorphe conçue à l’aide d’effets mécaniques traditionnels par Rob Bottin. Et pourtant, à l’époque, ce maquilleur surdoué, élève du grand Rick Baker, est à peine âgé de 22 ans ! Bien que le film soit un remake, John Carpenter et Rob Bottin tiennent à s’éloigner du look de la créature originale (une espèce de monstre de Frankenstein que l’on n’aperçoit que quelques secondes dans l’ombre) pour proposer une entité extra-terrestre en perpétuelle métamorphose, grandement inspirée par les horreurs indicibles évoquées par l’écrivain H.P. Lovecraft. « Rob Bottin était exactement la personne qu’il nous fallait pour une telle mise en œuvre », nous avouait John Carpenter douze ans après la sortie du film. « Son travail est époustouflant, même en comparaison avec ce que l’on sait faire actuellement. » (1) La scène la plus spectaculaire est probablement celle où la créature surgit de la poitrine déchirée du comédien Charles Hallahan et s’accroche au plafond, sous forme d’un corps humain dégoulinant de chairs décomposées, dont les épaules sont hérissées de gigantesques pattes d’insectes et dont la tête disproportionnée est juchée au sommet d’un long cou tordu. Le cou finit par se déchirer et la tête tombe au sol. Lorsque s’ouvre sa bouche, une langue démesurée en sort et s’accroche au pied d’une chaise, tandis que des pattes d’araignées surgissent de la tête et lui permettent de se déplacer… Du délire pur !
L'antithèse de E.T.
Servi par d’aussi magistraux effets spéciaux, The Thing bénéficie en outre de l’indiscutable maîtrise de John Carpenter dans l’art du huis-clos et de la tension. Les longues conversations de la version de 1951 se muent ici en silences des plus oppressants, d’autant que, dans ce remake, le nombre des scientifiques a été ramené de cinquante à douze. Chez Carpenter, l’unité de temps, d’action et de lieu sont toujours des valeurs sûres. Kurt Russell, son acteur fétiche, est un très convaincant héros paranoïaque. Pour une fois, la musique n’est pas ici l’œuvre de Carpenter mais d’Ennio Morricone, qui s’adapte parfaitement au style épuré du cinéaste. « Il est merveilleux, j’adore ce qu’il fait, je ne pourrais jamais faire mieux que lui ! », nous avoue Carpenter avec enthousiasme. « Si sa musique ressemble néanmoins à la mienne sur The Thing, c’est parce que je lui ai demandé de simplifier à l’extrême, et de réduire le nombre de ses notes. » (2) De par tous ses atouts, The Thing demeure terrifiant de bout en bout, ses effets spéciaux révolutionnaires servant de leur mieux l’angoisse sans cesse croissante du scénario. Ayant passé plus d’un an à vivre, dormir et manger dans les locaux d’Universal pour mener le projet à bien, Rob Bottin, exténué, finira le tournage à l’hôpital ! Mais le résultat est à la hauteur de toutes les espérances. Aujourd’hui encore, la Chose reste l’un des monstres les plus incroyables de l’histoire du cinéma. Et tant pis si le film fut un spectaculaire échec au box-office au moment de sa sortie – le public étant plus enclin alors à se tourner vers la gentillesse de E.T. Aujourd’hui, plus personne ne conteste à The Thing son statut de classique.
(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en février 1995
© Gilles Penso
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