« C’était énorme. C’était tout couvert de bosses et de croûtes faites de sa propre horrible substance, et des fragments s’en détachaient à mesure que ça avançait. »
(Theodore Sturgeon, “Ça”)
Quoi de plus inquiétant qu’un monstre qui n’a pas de forme tangible ? La peur de l’informe est probablement ancrée dans l’inconscient collectif depuis la nuit des temps, et au dégoût que peut susciter toute substance gélatineuse animale ou végétale s’ajoute le danger aveugle des marécages, des coulées de lave ou des sables mouvants. D’où maintes légendes liées aux créatures à la morphologie indistincte et à l’appétit engloutissant, comme le terrifiant Mafse censé hanter les forêts nocturnes de la Moselle. Les médecins ont d’ailleurs isolé une pathologie spécifique liée à la crainte des substances visqueuses, qu’ils ont baptisée « mucilophobie » (littéralement : « peur du mucus » !). C’est partiellement là que réside la force évocatrice des écrits tourmentés d’H.P. Lovecraft, s’efforçant de traduire les frayeurs d’infortunés personnages affrontant des créatures innommables et indescriptibles. Le romancier Theodore Sturgeon en a également tiré une mémorable nouvelle, « Ça », décrivant les méfaits d’une tourbe croissante habitée par un esprit humain.
En dépit de leur fort potentiel terrifiant, ces horreurs purement littéraires ne passent guère aisément le cap du grand écran. Le cinéma étant de prime abord l’art du visuel et de la démonstration, scénaristes et metteurs en scènes se rabattirent en effet de préférence vers des monstres palpables et concrets : insectes géants, dinosaures radioactifs, singes colossaux, mutants, vampires et loups-garous… Malgré tout, quelques téméraires tentèrent la carte de l’informe et de l’intangible. Les premiers furent les scénaristes Nigeal Kneale, avec La Marque, puis Kate Philips et Theodore Simonson, qui inventèrent pour leur part le fameux nom de « Blob » à l’occasion de Danger Planétaire d’Irwin S. Yeaworth Jr.. Désormais, cette étrange onomatopée allait désigner tous les monstres gluants et mouvants dénués de forme stable. Amibes carnivores, yaourts extra-terrestres, gelées vivantes ou purées mutantes, les blobs en tout genres n’ont ainsi cessé, depuis Danger Planétaire, d’alimenter le cinéma de science-fiction. Notamment deux remakes officiels de l’œuvre matricielle de Yeaworth Jr, et bon nombre d’imitations.
FILMS CHRONIQUÉS
1957: La Marque de Val Guest
1958: Danger Planétaire d’Irwin S. Yeaworth Jr
1958: L’Homme H d’Inoshiro Honda
1959: Caltiki le Monstre Immortel de Riccardo Freda
1968: Bataille au-delà des étoiles de Kinji Fukasaku
1971: Godzilla contre Hedora de Yoshimitsu Banno
1972: Attention au Blob ! de Larry Hagman
1985: The Stuff de Larry Cohen
1987: Creepshow 2 de Michael Gornick
1988: Le Blob de Chuck Russell
1989: S.O.S. fantômes 2 d’Ivan Reitman
1997: Flubber de Les Mayfield
2000: L’Attaque de la Moussaka Géante de Panos Koutra