SHINING (1980)

Une trahison assumée du roman de Stephen King qui permet à Stanley Kubrick de proposer sa vision personnelle du cinéma d'horreur

THE SHINING

1980 – GB

Réalisé par Stanley Kubrick

Avec Jack Nicholson, Shelley Duvall, Danny Lloyd, Scatman Crothers, Barry Nelson, Philip Stone, Joe Turkel

THEMA FANTÔMES I SAGA STEPHEN KING

Chaque fois qu’il s’attaqua à une facette du cinéma fantastique, Stanley Kubrick lui offrit une œuvre faisant date, que ce soit dans le domaine de la politique-fiction (Docteur Folamour), du space-opera (2001 l’odyssée de l’espace) ou de l’anticipation (Orange mécanique). Systématiquement, il s’appuya sur un roman classique, et Shining, sa première incursion dans l’épouvante, ne déroge pas à la règle. Ici, l’heureux écrivain adapté est Stephen King, alors très en vogue à Hollywood grâce au succès de Carrie. Les premières images de Shining donnent d’emblée le ton. Vue d’hélicoptère, une minuscule voiture y gravit une route de montagne, aux accents d’un lugubre dies irae composé par Wendy Carlos et Rachel Elkind. Dans la peau de Jack Torrance, un professeur et écrivain en mal d’inspiration, Jack Nicholson livre l’une de ses prestations les plus célèbres et les plus hallucinées.

Pour se consacrer sereinement à l’écriture de son nouveau roman, Torrance accepte d’assurer le gardiennage d’un hôtel du Colorado pendant la saison morte, en compagnie de sa femme Wendy (Shelley Duvall) et de son jeune fils Danny (Danny Lloyd). Or ce dernier possède le « shining », autrement dit certaines capacités divinatoires. Le gigantisme de la demeure victorienne, entièrement déserte en plein hiver, commence à jouer sur les nerfs de Torrance, dont l’esprit est déjà passablement perturbé. Bientôt, Danny est frappé de visions cauchemardesques, Wendy sent couver un danger croissant, et Torrance finit par basculer dans la folie, possédé par une force maléfique qui hante les lieux. Car l’hôtel fut jadis le théâtre d’un drame sanglant, au cours duquel le gardien précédent assassina sa femme et ses deux fillettes avant de se suicider…

Un labyrinthe œdipien

Il faut bien reconnaître que Kubrick ne fut pas vraiment respectueux du texte original au moment de son adaptation, délaissant quelque peu « l’enfant lumière » du roman (dont les capacités de télépathie et de voyance représentent un véritable enjeu dramatique) pour se concentrer pleinement sur le personnage du père psychopathe. Mais paradoxalement, cette « trahison » dans la forme ne l’est guère dans l’esprit. En effet, Stephen King fut le premier à avouer : « Vampires, loups-garous, je n’y crois pas, mais je crois aux meurtriers. Je crois en l’étranger qui vient dans votre maison au milieu de la nuit, frappe à votre porte, entre et vous tue. » Car la monstruosité humaine sera toujours plus terrifiante que n’importe quelle manifestation surnaturelle. Et comment rêver mieux que Jack Nicholson, le regard fou et les babines retroussées, pour incarner cette incarnation de l’ogre ou du grand méchant loup des contes pour enfants ? Pour aller jusqu’au bout de l’approche psychanalytique, Shining s’achève dans un labyrinthe, lieu ô combien symbolique où l’enfant pourra enfin « tuer le père ». Entre-temps, Kubrick nous aura asséné des visions inoubliables, comme ces centaines de feuilles sur lesquelles Torrance a tapé à la machine le mot « meurtre », l’inscription « Red Rum » qui s’avère être une anagramme de « Murder », l’apparition des deux jumelles mortes dans le couloir de l’hôtel ou cette vision récurrente du hall inondé par des hectolitres de sang.  

 

© Gilles Penso

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