PHENOMENA (1985)

Insectes, pouvoirs paranormaux, tueur, singe intelligent et enfant monstrueux cohabitent dans cette œuvre baroque de Dario Argento

PHENOMENA

1985 – ITALIE

Réalisé par Dario Argento

Avec Jennifer Connelly, Daria Nicolodi, Dalila di Lazzaro, Donald Pleasence, Patrick Bauchau, Fiore Argento 

THEMA INSECTES ET INVERTEBRES I TUEURS I SINGES I ENFANTS I POUVOIRS PARANORMAUX I SAGA DARIO ARGENTO

On a généralement tendance à situer la période faste de Dario Argento entre 1971 et 1982, autrement dit de L’Oiseau au plumage de cristal à TénèbresPhenomena s’inscrit donc à l’aune d’une lente phase de déclin, ce qui ne l’empêche pas de regorger de morceaux et bravoures et d’idées folles dont l’auteur de Suspiria a le secret. C’est d’ailleurs Suspiria qui semble servir d’inspiration principale au film, comme si Argento cherchait un peu à réitérer le miracle de son chef d’œuvre. Dans un rôle proche de celui tenu en 1977 par Jessica Harper, Jennifer Connelly (qui révèle ici son jeune talent après une petite apparition en tutu dans Il était une fois en Amérique) interprète Jennifer Corvino, la fille d’un célèbre acteur américain venue poursuivre ses études dans un collège suisse. Rudoyée par ses camarades qui lui envient sa prestigieuse parenté, l’adolescente préfère de beaucoup la compagnie des insectes avec lesquels elle a le pouvoir de communiquer. Au cours d’une crise de somnambulisme, elle est témoin d’un meurtre commis avec une arme blanche démontable et tranchante. Jennifer court alors un grave danger puisque le tueur, qui l’a aperçue, va tenter de l’éliminer. Grâce à l’aide d’un entomologiste infirme (Donald Pleasence, très touchant) et de son singe savant, elle prend conscience de l’étendue de son don et part à la recherche de l’assassin.

Reprenant les composantes traditionnelles du giallo (un tueur mystérieux s’en prend à d’innocentes jeunes filles), Phenomena y adjoint de nombreux thèmes empruntés à d’autres sous-genre du cinéma fantastique : les insectes intelligents (comme dans Phase IV), l’adolescente aux pouvoirs surnaturels (façon Carrie), l’enfant monstrueux matérialisant la folie meurtrière de sa génitrice (à la manière de Chromosome 3), le singe dangereusement intelligent (hérité d’Edgar Allan Poe)… Le problème est que ces motifs variés et dissemblables peinent à s’organiser au sein d’une intrigue cohérente. Noyé dans ce trop plein d’idées et d’influences, Dario Argento perd un peu de sa personnalité et oublie au passage les magnifiques effets de style qui le singularisaient.

Belzébuth maître des mouches

La somptuosité des décors n’a plus cours, la photographie oublie les couleurs démesurément saturées au profit d’une banale polychromie, les cadrages ont perdu de leur caractère insolite et même la bande originale, signée ici par quelques ténors du hard rock, manque de folie et d’étrangeté. Reste Jennifer Connelly, qui nimbe chaque séquence de son charme naissant, et dont le personnage complexe demeure l’intérêt majeur de Phenomena. Considérée tout à tour comme une folle par ses camarades, comme un « Belzébuth maître des mouches » par la directrice de son école, comme un fascinant prodige de la nature par le vénérable entomologiste et comme une amie et confidente par les insectes, elle cristallise toutes les émotions et marque les esprits par sa différence, son refus de rester noyée dans la masse. Ce bel appel à l’individualité et à l’originalité ne fait hélas pas toujours mouche (sic), et Argento ne signe ici que l’ébauche de ce qui aurait pu être un nouveau grand opéra gore.


© Gilles Penso

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