Un film troublant au concept fou dans lequel Sophie Marceau se transforme progressivement en Monica Bellucci
NE TE RETOURNE PAS
2009 – FRANCE
Réalisé par Marina de Van
Avec Sophie Marceau, Monica Bellucci, Thierry Neuvic, Andrea di Stefano, Brigitte Catillon, Vittoria Meneganti, Thaïs Fischer
THEMA DOUBLES
Quelque part entre Roman Polanski et David Lynch, mais avec une sensibilité toute personnelle, Marina de Van raconte à travers Ne te retourne pas le récit torturé d’une détresse féminine virant au cauchemar. Sept ans après son premier long-métrage Dans ma peau, l’actrice/réalisatrice récidive autour de la thématique de la perte d’identité et de la fuite de repères qui marquent la fragile frontière entre raison et folie. La présence en tête d’affiche de Sophie Marceau et Monica Bellucci a fait frémir tous les tabloïds durant le 62ème festival de Cannes où le film fut présenté en compétition officielle. Mais Ne te retourne pas n’a rien de glamour, pas plus qu’il ne capitalise sur la popularité ou la beauté iconique de ses deux stars. Le film est dérangeant, difficile d’approche et profondément singulier. L’ex-James Bond girl du Monde ne suffit pas incarne Jeanne, une mère de famille épanouie qui travaille comme biographe et décide un beau jour de se lancer dans un roman autobiographique. Son premier jet n’est pas du goût de son éditeur, qui n’y trouve aucun intérêt littéraire. Or, chez Jeanne, l’initiative de ce livre a des répercussions plus complexes, comme si elle remuait des souvenirs enfouis depuis longtemps dans son inconscient. Une série de détails insolites parsèment dès lors son quotidien : l’aménagement de son appartement semble se modifier peu à peu, sa propre apparence s’altère progressivement, tout comme celle de son époux (Andrea di Stefano) et de ses deux enfants…
Épaulée par les incroyables effets visuels de l’équipe de Mikros Image, la réalisatrice met dès lors en image l’impensable : la métamorphose insidieuse d’une comédienne en une autre, en l’occurrence de Sophie Marceau en Monica Bellucci. La performance technique est indéniable (fruit de dix mois de travail au sein d’une équipe d’infographistes fébriles), même si le résultat visuel de certaines étapes intermédiaires laisse perplexe (un œil plus gros que l’autre, un visage bizarrement asymétrique), mais c’est surtout la difformité passagère des étapes transitoires qui surprend le plus. Et c’est là que Marina de Van fait preuve de génie, détournant l’image populaire de ses comédiennes pour relativiser la notion même de beauté. Car en juxtaposant l’harmonie de ces deux visages gracieux, elle frôle la monstruosité, prouvant bien à quel point le « beau » est subjectif et surtout le résultat de mille nuances. L’une des références picturales de Marina de Van semble d’ailleurs avoir été l’œuvre disloquée et paroxystique du peintre Francis Bacon.
Une femme peut en cacher une autre
La Française Sophie devient donc l’Italienne Monica, et le seul moyen pour l’héroïne de ne pas s’abandonner définitivement à la démence est d’aller trouver la clef du mystère, quelque part au fin fond d’un village italien. Car il y a une explication, une raison rationnelle qui rend plausible cet argument purement fantastique et permet en fin de compte de réinterpréter tous les événements du film avec une nouvelle grille de lecture. Bref, voilà un essai passionnant, certes non exempt de pertes de rythme et parfois embarrassé des inévitables minauderies de Sophie Marceau, mais qui se paie le luxe de l’originalité folle tout en s’en offrant les moyens techniques.
© Gilles Penso
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