Le carton d’introduction de Mad Max annonce que nous sommes « quelque part dans le futur ». C’est la seule indication spatio-temporelle que nous aurons à nous mettre sous la dent. A-t-on réellement besoin d’en savoir plus ? A peine le métrage commence-t-il que les pneus crissent, les moteurs vrombissent, la tôle se froisse… Il ne faut pas plus de quelques secondes pour que George Miller s’impose comme un cinéaste d’exception, immergeant les spectateurs de son premier long-métrage dans une poursuite automobile hallucinante qui ne cesse qu’au bout de dix minutes de furie mécanique. On n’avait pas vu ça depuis Bullit ou French Connection. Un fou du volant, auto-proclammé « Chevalier de la Nuit », est pris en chasse par les voitures de la police, jusqu’à ce qu’intervienne le véhicule « Interceptor » piloté par l’agent Max Rockatansky. Les cadrages au format scope, les mouvements fébriles de la caméra, le montage nerveux, tout dans ce prologue est ciselé au millimètre près.
Le héros, lui, ne nous est révélé que progressivement : d’abord les bottes, ensuite le dos, puis le regard dissimulé derrière les lunettes noires, jusqu’à ce que le visage d’un tout jeune Mel Gibson débordant déjà de charisme n’emplisse l’écran, iconisant ce Max qui n’a encore rien de « Mad ». Quand une horde de motards dirigée par le psychopathe Toecutter (Hugh Keays-Byrne) investit une petite ville pour récupérer à la gare le cercueil du Chevalier de la Nuit, la nature du film se révèle sans fard : ce récit d’anticipation est en réalité un western d’un nouveau genre. Dans ce futur proche peu engageant, la folie s’est emparée du monde, et des policiers désabusés (surnommés « bronzes » à cause de leur plaque) filent le train à des gangsters équipés de véhicules customisés aux moteurs surgonflés. Le commissariat lui-même est un bâtiment délabré qui semble à l’abandon et résume bien la situation. Lorsque la bande de Toecutter prend au piège Jim Goose, le co-équipier de Max, la violence monte d’un cran. Elle ne quittera plus l’écran, moins visuellement que psychologiquement.
L'innocence perdue
Car les épreuves de plus en plus douloureuses et de plus en plus éprouvantes que s’apprête à vivre Max vont le changer à tout jamais, au rythme impitoyable des pneus arpentant le bitume comme autant de coups de couteau plantés dans une innocence perdue. A l’issue de ce parcours du combattant, Max bascule et laisse rugir la bête qui sommeille en lui. Ce revirement est symbolisé par un masque de monstre de carnaval qu’il utilisait jadis pour s’amuser avec son tout jeune fils, et qu’il tord désormais de rage entre ses mains. Le point de non-retour est atteint, et Mad Max justifie enfin son titre, s’acheminant inexorablement vers un dénouement nihiliste. Le compositeur Brian May écrit à l’occasion une partition exagérément épique, parfois en décalage avec l’aspect brut de la mise en scène, mais qui dote le récit d’une indéniable dimension tragique. Chef d’œuvre de nervosité et d’efficacité, le premier volet de la saga Mad Max fit découvrir au grand public la richesse potentielle du cinéma australien, remporta le Prix Spécial du Jury du festival d’Avoriaz et rapporta 250 fois son budget estimé à 400 000 dollars.
© Gilles Penso
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