Entre deux gigantesques épopées, Peter Jackson se penche sur une histoire de fantôme intimiste
Après les quatre mastodontes cinématographiques que représentaient la saga du Seigneur des Anneaux et King Kong, Peter Jackson se penche sur un récit plus intimiste, constellé de nostalgie et empreint d’éléments autobiographiques. Puisant son inspiration dans le roman « La nostalgie des anges » d’Alice Sebold, le cinéaste néo-zélandais signe une œuvre riche et complexe qui oscille entre le drame, la comédie, le thriller et le fantastique pur. A la manière de Sunset Boulevard, Lovely Bones commence par la voix-off d’un défunt, un narrateur d’outre-tombe qui prend ici les traits de la jeune Susie Salmon nous déclarant tout de go : « j’avais quatorze ans quand on m’a assassinée ». Jackson plante ses caméras dans l’Amérique du début des années 70, encore nimbée d’insouciance, et dresse le portrait d’une famille classique, portée par un casting confondant de justesse.
Aux côtés de valeurs sûres telles que Mark Wahlberg, Rachel Weisz et Susan Sarandon, campant respectivement les parents aimants et la grand-mère truculente, le jeune talent de Saoirse Ronan, aux yeux de poupée et au visage ingénu, éclate dans le rôle de Susie Salmon. Errant entre le monde des morts et celui des vivants, cette dernière assiste au déchirement des siens, inconsolables, tout en se préparant à basculer dans l’au-delà, tandis que l’assassin court toujours. Ce dernier, point de mire de toutes les haines, est prodigieusement incarné par un Stanley Tucci quasi-méconnaissable. A l’instar de Créatures Célestes, Lovely Bones situe sa narration dans deux univers parallèles et complémentaires : le monde réel et celui conçu par l’imagination fébrile d’une adolescente. Car Susie n’est pas encore passée « de l’autre-côté ».
« De l'autre-côté… »
Les décors surréalistes dans lesquels elle évolue ne sont donc pas les visions fantasmées d’un paradis judéo-chrétien, façon Au-delà de nos rêves, mais celles d’une jeune fille nourrie par l’imagerie « new age » des années 70 (d’où le choix judicieux de Brian Eno pour signer la bande originale du film). Susie construit ainsi elle-même le berceau de son errance post-mortem, nourri de métaphores délicieusement poétiques (le kiosque, la forêt, les bateaux mis en bouteille). « Les métaphores utilisées ne devaient pas être trop simplistes, pour éviter les clichés, mais pas trop hermétiques non plus, afin que les spectateurs puissent les comprendre sans mal », explique Jackson. « Lorsque son père cueille un camélia fané et que ce dernier se met à éclore dans sa main, c’est littéralement la métaphore d’une idée qui éclot. A ce moment précis, le père de Susie comprend quelle est l’identité du tueur. Sa fille lui a soufflé cette idée d’outre-tombe. » (1) Au fil de l’intrigue, le réalisateur concocte une poignée de séquences de suspense diaboliquement efficaces. Très hitchcockiennes sur le fond mais complètement novatrices dans la forme, elles vissent les spectateurs sur leurs fauteuils et jouent durablement sur leurs nerfs, via un découpage ciselé au millimètre près, un travail d’orfèvre sur la bande son et un usage inédit des caméras endoscopiques. Capable d’adapter son style polymorphe à tous les sujets, Jackson nous confirme une fois de plus son statut de cinéaste hors norme et d’artiste passionnant.
(1) Propos recueillis par votre serviteur en novembre 2009
© Gilles Penso
Partagez cet article