Wes Craven s'inspire d'un drame réel pour inventer l'un des croquemitaines les plus mémorables de l'histoire du cinéma
A NIGHTMARE ON ELM STREET
1984 – USA
Réalisé par Wes Craven
Avec Heather Langenkamp, Robert Englund, John Saxon, Ronee Blakely, Amanda Wyss, Johnny Depp, Jsu Garcia
THEMA RÊVES I SAGA FREDDY KRUEGER I WES CRAVEN
Wes Craven a créé un petit événement en lâchant sur les écrans Les Griffes de la nuit. Les spectateurs n’étaient tout simplement pas préparés à un tel choc. Pourtant, le scénario recycle un certain nombre d’éléments connus, en particulier les meurtres de teenagers hérités d’Halloween, le héros contraint de rester éveiller comme dans L’Invasion des profanateurs de sépulture, ou les interactions entre réalité et rêve traitées la même année dans Dreamscape. L’originalité du film réside dans l’agencement savant de ces idées, inspirées initialement d’un fait étrange mais bien réel. « Je me souviens avoir lu une histoire terrible dans le journal », raconte Craven. « Un jeune homme de 22 ans souffrait de cauchemars tellement réalistes qu’il refusait de s’endormir. Il se maintenait éveillé et crachait en douce les somnifères que lui donnaient ses parents. Après quatre ou cinq jours de veille, il a fini par s’endormir et est tombé raide mort au milieu de son sommeil, sans explication » (1). De ce fait divers est née l’idée des Griffes de la nuit.
L’infortuné jeune homme s’est mué en une adolescente américaine, Nancy (Heather Langenkamp), hantée par des cauchemars où elle est traquée par un tueur armé de griffes métalliques. Lorsqu’elle se confie à ses amis, ces derniers avouent être tourmentés par le même rêve. Or chacun d’entre eux va mourir violemment en plein sommeil. Bouleversée, Nancy apprend que le coupable est Freddy Krueger, un assassin de petites filles brûlé vif par des parents vengeurs, qui réapparaît désormais sous la forme d’un démon aux griffes d’acier dans les rêves des jeunes gens du quartier d’Elm Street. S’il réussit à les assassiner pendant leur rêve, les dormeurs meurent pour de bon. Après la mort de ses camarades, Nancy est à son tour pourchassée par le monstre… « Certains philosophes russes ont développé l’idée que plus l’homme est conscient, plus il souffre de sa condition », explique Craven. « D’où sa propension à enfouir de nombreuses choses dans son subconscient. J’ai donc imaginé le personnage de Nancy, une jeune fille qui rêve d’un tueur effrayant. Ses parents savent que cet homme a existé dans la réalité, mais il en ont évacué le souvenir. Et lorsque Nancy leur en parle, ils refusent de la croire, se voilant la face » (2).
« Ne dormez plus ! »
Les Griffes de la nuit tire son efficacité de la mise en image saisissante de son concept, paré d’idées visuelles fortes : l’étudiante arrachée à son lit par une force invisible qui la fait ramper sur les murs, le corps de Tina dans son suaire (un mille-pattes s’échappant de sa bouche et des serpents boueux rampant à ses pieds), le garçon aspiré par son lit qui rejette ensuite un impressionnant jet de sang, la langue qui surgit du téléphone, le plafond mou d’où émerge le visage du tueur, ou encore la célèbre séquence de la griffe qui jaillit dans le bain… « La scène de la baignoire était particulièrement difficile à tourner », se souvient Heather Langenkamp. « Ils avaient construit un décor très particulier et il fallait que je fasse une confiance totale à Wes Craven, au chef opérateur et aux techniciens. Pendant le tournage, je me suis sentie particulièrement vulnérable. Mais d’une manière générale, toutes les scènes de combat avec Robert Englund étaient compliquées à tourner. Le gant de Freddy existait en réalité dans des versions différentes. Certaines griffes étaient en caoutchouc très souple, d’autres étaient plus rigides, et certaines étaient conçues pour être vraiment acérées, pour pouvoir briller sous les éclairages et faire du bruit lorsqu’elles s’entrechoquaient. Robert adorer les frotter les unes contre les autres pour m’effrayer ! » (3) Interprété par un Robert Englund qu’on connut plus avenant (notamment dans la série V), Krueger fait vraiment peur, contrairement aux films suivants qui le relègueront au rôle de clown farceur et grimaçant. On note également la présence du vétéran John Saxon dans le rôle du policier et d’un Johnny Depp débutant à peine sorti de la puberté ! Très inspiré, Charles Bernstein compose pour les besoins du film une partition synthétique particulièrement efficace qui, elle aussi, est entrée dans la légende.
(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en octobre 2005
(3) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2019
© Gilles Penso