A mi-chemin entre Hitchcock et Spielberg, Joe Dante installe l'étrangeté dans le cadre familier d'une banlieue américaine
THE BURBS
1989 – USA
Réalisé par Joe Dante
Avec Tom Hanks, Bruce Dern, Carrie Fisher, Rick Ducommun, Corey Feldman, Wendy Schaal, Henry Gibson, Brother Theodore
THEMA TUEURS
The Burbs fait partie des œuvres méconnues de Joe Dante, personnalité définitivement hors norme dans la jungle d’Hollywood. Tourné entre L’Aventure intérieure et Gremlins 2, le film choisit pour cadre unique un banal quartier de la banlieue américaine (the suburbs). Ray Peterson (Tom Hanks dans sa période comique), monsieur-tout-le-monde en quête de détente, entend bien profiter de sa semaine de vacances pour ne pas quitter ses chaussons et bricoler à la maison. C’est compter sans l’arrivée de curieux et très secrets voisins étrangers, les Klopek, qu’il soupçonne rapidement d’être des meurtriers sanguinaires. Aidé par deux autres résidents du quartier, il va tenter de les démasquer au péril de sa vie, et de son précieux farniente…
Le lieu de l’action, les protagonistes, l’atmosphère bon enfant mâtinée de mystère, tout évoque les divines productions Amblin de Steven Spielberg. Dante choisit cependant de ne pas donner le rôle des investigateurs à des enfants comme dans Explorers ou E.T., mais à des adultes (qui se comportent néanmoins comme des adolescents attardés en quête de sensations fortes, nous y reviendrons). Choix orienté puisque le but affiché ici est, sous couvert de la comédie loufoque, de condamner l’Américain moyen protectionniste et gentiment xénophobe qui voit forcément d’un œil mauvais l’arrivée de l’Etranger sur son territoire, et se battra bec et ongles (quitte à perdre, au choix, la face ou la raison) pour défendre ses biens. Les références au western (Leone et Morricone sont cités au détour d’un gag) et au film de guerre (Jerry Goldsmith reprend avec malice son propre thème de Patton et le personnage de Bruce Dern est un vétéran du Vietnam) sont donc tout sauf gratuites.
Léger et parodique, puis soudain inquiétant et gothique
Partant d’un scénario et de ressorts dramatiques à la Fenêtre sur cour, le film ne cesse d’intriguer, tour à tour léger et parodique, puis soudain inquiétant et gothique, rendant majestueusement hommage à la Hammer via cette famille Klopek sortie tout droit d’un Terence Fisher ou, par extension, de Frankenstein Junior. Qui plus est, un réel suspense est entretenu jusqu’au bout sur la nature des véritables agissements des voisins infernaux. La force du réalisateur est d’utiliser des personnages archétypaux (le héros sympathiquement puéril, l’épouse aimante et maternelle, le voisin/copain crétin à mauvaise influence…) et de les caricaturer sans les juger pour autant, car même s’il les malmène tel un entomologiste au profit d’une démonstration idéologique cinglante, il conserve une indéfectible tendresse à leur égard. La plupart des personnages principaux de la filmographie de Dante sont issus de la middle class américaine, fourmis broyées par le consumérisme et les valeurs imposées qui vivent des aventures extraordinaires en désirant simplement briser une routine sclérosante. Le personnage de Tom Hanks s’ennuie et rêve d’une énigme à résoudre (même si elle perturbe grandement son ordre établi), Jack Putter (L’Aventure intérieure) travaille au supermarché et veut partir en voyage lorsqu’il tombe en plein scénario d’espionnage, Billy Peltzer (Gremlins), dessinateur naïf, se voit offrir un animal fantasmagorique par son père et déclenche une invasion de monstres… Au-delà de la critique des grandes erreurs humaines (Piranhas, Small Soldiers, et plus récemment The Hole et sa violence parentale), les carcans symboliques et familiaux ne demandent qu’à imploser face à la curiosité et à l’imaginaire que nous oublions tous progressivement, enfouis sous le poids de nos responsabilités d’adultes. Là où John Carpenter et Wes Craven se sont fait déborder par le cynisme, Joe Dante, lui, n’a visiblement jamais oublié.
© Julien Cassarino