Dans ce croisement inattendu entre les univers de Stephen King et Claude Chabrol, des chasseurs sont attaqués par de monstrueux sangliers
LA TRAQUE
2009 – FRANCE
Réalisé par Antoine Blossier
Avec Grégoire Colin, François Levantal, Joseph Malerba, Fred Ulysse, Bérénice Bejo, Isabelle Renauld
THEMA MAMMIFERES
Bien qu’il narre les mésaventures de chasseurs menacés par des sangliers particulièrement agressifs au beau milieu de la forêt nocturne, La Traque n’a pas la vocation d’être un Razorback à la française. Il s’agirait plutôt du croisement inattendu entre les univers de Stephen King et Claude Chabrol. Le réalisateur Antoine Blossier et le scénariste Erich Vogel, attaquant ici leur premier long-métrage, ont en effet puisé leur inspiration dans les terreurs primaires décrites par l’auteur de Cujo tout en y injectant l’hypocrisie larvée et les pressions familiales chères au metteur en scène de L’Enfer. La Traque s’ancre ainsi dans la campagne française et s’attarde dans un premier temps sur une famille aux relations complexes. Nicolas (François Levantal) est l’industriel le plus important de la région, mais il est clair que ses pratiques douteuses (dont l’emploi abusif de pesticides) ne sont du goût ni de son frère David (Joseph Marbela), ni de son père Eric (Fred Ulysse), tous deux agriculteurs liés par des rapports interdépendants pas très sains. Pièce rapportée de ce petit monde en vase clos, Nathan (Grégoire Colin) est le gendre du puissant David, et s’efforce d’inciter son épouse Claire (Bérénice Béjo) à prendre ses distances avec une famille décidément très envahissante.
Les enjeux sont distincts, les tensions palpables, le drame peut donc commencer. Et pour exacerber les émotions en pleine nature, rien de tel qu’une agression animale monstrueuse, comme au bon vieux temps des Dents de la mer et des Oiseaux… Le premier incident insolite se manifeste par la mort inexplicable de nombreux cerfs retrouvés couverts de morsures sur la clôture électrique de l’exploitation agricole. De toute évidence, des sangliers semblent être responsables de l’hécatombe. Les quatre hommes se plongent donc au cœur de la forêt voisine, fusil au poing, pour en découdre avec les prédateurs omnivores. Alors que le soleil décline et que d’inquiétantes bêtes se profilent aux alentours, la tension monte d’un cran et le cauchemar n’est pas loin… « Dans le premier niveau d’écriture du film, il s’agit du récit de chasseurs qui vont traquer les prédateurs responsables de la mort de leurs bêtes », explique le scénariste Erich Vogel. « Le second niveau raconte l’histoire d’un jeune médecin dont la fiancée est enceinte et qu’il essaie d’arracher des griffes d’une famille trop possessive. Il se mêle donc aux chasseurs en essayant de profiter de ce moment d’intimité avec la famille de sa future femme pour les convaincre de la laisser partir. La grosse difficulté du scénario consistait à entremêler ces deux histoires sans que le résultat ne semble artificiel. » (1)
Les bêtes de la forêt
La Traque a beaucoup d’atouts en main : une mise en scène brute d’une très grande efficacité, une brochette de comédiens extraordinaires, une mise en image élégante signée Pierre Haïm (chef opérateur de La Haine et Les Morsures de l’aube), une magnifique partition de Romaric Laurence (Ong-Bak, Vendues) qui semble directement puiser son inspiration chez le Danny Elfman de Wolfman… Seuls véritables bémols : l’utilisation abusive de la « sahky cam » et de la sous-exposition, qui empêchent souvent de saisir la teneur exacte des séquences d’action en les rendant parfois quasi-illisibles, ainsi que la présence trop discrète des créatures à l’écran, aucune ne montrant réellement le bout de son groin à cause d’évidentes restrictions budgétaires, et malgré le travail animatronique du très talentueux Pascal Molina (Les Rivières pourpres, La Cité des enfants perdus). « Le travail de Pascal Molina sur le film était phénoménal », raconte Antoine Blossier. « Les créatures animatroniques étaient très réussies, mais nous n’avons eu les moyens de ne faire construire que les têtes et les épaules. Du coup, nos choix de cadrages étaient très limités. J’ai donc dû renoncer à toutes mes envies de plans larges sur les bêtes. Ce que j’aurais vraiment voulu, c’est avoir un plan iconographique de la bête, une vision impressionnante et iconique qui aurait satisfait les spectateurs tout en inscrivant définitivement La Traque dans son statut de film de créatures. » (2) Initialement titré Proie, le film a été rebaptisé La Traque quelques mois avant sa sortie pour éviter toute confusion avec La Proie d’Eric Vallette, au profit d’une homonymie assumée avec un thriller français de Serge Leroy qui plongeait Mimsy Farmer dans une cauchemardesque partie de chasse.
(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en février 2010
© Gilles Penso
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