Matthieu Kassovitz s'essaie à l'épouvante hollywoodienne et signe un film efficace mais sans grande personnalité
GOTHIKA
2003 – USA
Réalisé par Matthieu Kassovitz
Avec Halle Berry, Robert Downey Jr., Charles Dutton, John Carroll Lynch, Bernard Hill, Penélope Cruz, Dorian Harewood
THEMA FANTÔMES
Séduit par les sirènes hollywoodiennes, Mathieu Kassovitz s’est laissé expatrier aux Etats-Unis le temps de réaliser cette histoire de fantôme post-Sixième sens au postulat pour le moins intrigant. Halle Berry y incarne Miranda Grey, psychologue dans le pénitencier psychiatrique pour femmes criminelles que dirige son mari. Un soir, alors qu’elle emprunte une déviation en voiture pour cause de travaux sur le bitume, elle croise une jeune fille mystérieuse à la sortie d’un pont. Celle-ci reste immobile au milieu de la route, puis soudain s’enflamme en hurlant. Terrifiée, Miranda sombre dans l’inconscience. A son réveil, elle est derrière les barreaux, accusée du meurtre violent de son époux et dès lors considérée comme une dangereuse psychopathe. Amnésique, elle découvre peu à peu qu’elle a été le jouet d’un spectre qui s’est emparé d’elle et la manipule pour exercer une terrible vengeance…
La première partie du film accroche donc le public à son siège, servie par l’interprétation d’Halle Berry, Robert Downey Jr et Penelope Cruz, surprenants dans des rôles à contre-courant de leur filmographie habituelle, et par un début de scénario plaçant la folie sous une perspective intéressante. Car en plongeant le spectateur dans la peau d’Halle Berry, Gothika pose du même coup le problème de la légitimité des conclusions psychiatriques hâtives. L’une des réflexions de Gilbert Keith Chesterton nous revient alors en mémoire : « Le fou n’est pas l’homme qui a perdu la raison. Le fou est celui qui a tout perdu, excepté la raison. » Une pensée qui trouve son écho dans le scénario de Sebastian Guttierez (auteur d’œuvres aussi disparates que Judas Kiss, Des Serpents dans l’avion ou le remake de The Eye) et qui nous pousse, dans le cas présent, à nous demander si les fous internés dans les cellules capitonnées le sont vraiment. En s’efforçant de prouver leur santé mentale, ne s’enfoncent-ils pas davantage aux yeux de leurs médecins/juges ? Et si certains d’entre eux entendaient vraiment des voix ? Et si quelques fantômes venaient réellement les tourmenter ? Telles sont les problématiques soulevées par le début du film.
La vengeance du spectre
Hélas, au moment où Miranda Grey parvient à échapper à ses geôliers pour mener sa propre enquête, le scénario change de cap, empruntant des chemins plus connus, familiers de ceux qui ont vu Hypnose, Apparences ou Intuitions, tout en collectant bon nombre d’invraisemblances. Le film continue malgré tout à passionner, grâce à une mise en scène ciselée et virtuose qui transcende clichés et illogismes. Visiblement motivé par ses prestigieux producteurs Joel Silver et Robert Zemeckis, Kassovitz s’amuse ainsi à promener sa caméra dans les endroits les plus surprenants, et à multiplier les effets choc destinés à faire sursauter le public. Le résultat est des plus probants, même si Gothika aurait gagné à conserver sa rigueur scénaristique jusqu’au bout, d’autant que certains personnages clefs du film s’évaporent presque au fil de l’intrigue, ce qui s’avère pour le moins frustrant. L’interruption du tournage pendant huit semaines, après qu’Halle Berry se soit cassé le bras en jouant une scène aux côtés de Robert Downey Jr, explique en partie les réécritures de dernière minute et quelques pertes de cohérence en cours de route.
© Gilles Penso
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