Concentré de toutes les peurs du peuple japonais, Godzilla est le précurseur d'un nouveau genre : le "Kaiju Eiga" ou "film de grands monstres"
GOJIRA
1954 – JAPON
Réalisé par Inoshiro Honda
Avec Akira Takarada, Takashi Shimura, Momoko Kawauchi, Akihiko Hirata, Takashi Shimura, Fujuki Murakami
THEMA DINOSAURES I SAGA GODZILLA
Ami de longue date d’Akira Kurosawa, Inoshiro Honda réalisa son premier film en 1951, mais ce n’est qu’en 1954 qu’il entra dans la légende en donnant corps à Godzilla, métaphore rugissante des horreurs d’Hiroshima qui traumatisèrent le jeune cinéaste alors qu’il était mobilisé sur le front. Mine de rien, peu de réalisateurs peuvent se vanter d’avoir créé un mythe ayant perduré à travers les décennies, ainsi qu’un genre cinématographique à part entière, le « kaiju eiga », autrement dit le film de monstres japonais. Inspiré au producteur Tomoyuki Tanaka par le succès de King Kong et par le scénario du Monstre des temps perdus, Godzilla raconte les méfaits d’un reptile préhistorique qui dormait depuis un million d’années au fond des mers avant d’être réveillé par des expériences atomiques. Le monstre gagne le Japon à la nage et sème la mort et la désolation dans Tokyo, écrasant les habitations et broyant les trains. L’armée est impuissante contre lui, car son corps semble être chargé d’électricité. Tanks, camions, bateaux, pièces d’artillerie, rien ne résiste aux assauts répétés du monstre antédiluvien. Les scientifiques perplexes se réunissent, mais la population s’affole. Alors que tout espoir semble perdu, le docteur Serizawa trouve le moyen d’éliminer le dinosaure en détruisant l’oxygène autour de lui. Il donnera sa vie pour tuer le monstre en provoquant une explosion sous-marine.
Très sombre, parfois carrément mélodramatique, le film utilise le monstre comme moteur central d’une tragédie classique où se nouent des liens sentimentaux entre les jeunes protagonistes, où l’on se sacrifie, où l’on tire des leçons de morales désenchantées de la situation (« A trop vous moquer des légendes, vous allez finir en pâture » déclame un vieillard qui sent poindre à l’avance la colossale menace). L’impact de Godzilla au milieu des années 50 fut impressionnant, d’autant qu’il défrichait un terrain alors totalement vierge dans le paysage cinématographique japonais. Symbole des phobies nippones de l’époque (le péril nucléaire mais aussi les catastrophes naturelles et une certaine idée du fléau planétaire venu de l’irresponsabilité de l’Occident), le monstre possède la tête d’un tyrannosaure, le corps d’un iguanodon et les plaques dorsales d’un stégosaure, même si son aspect général évoque surtout le dragon traditionnel asiatique.
La suspension d'incrédulité
La présence de l’acteur Haruo Nakajima dans le costume reste évidente, malgré l’utilisation du ralenti destiné à lui donner un pas lourd, et malgré les magnifiques maquettes de la ville de Tokyo vouées à la destruction. Mais c’est une sorte de convention passée entre le cinéaste et ses spectateurs, une « suspension d’incrédulité » qui permet d’accepter la tangibilité de cette créature et la réalité de ses méfaits. Artisan des mémorables effets spéciaux donnant corps au monstre, Eiji Tsuburaya porte une grande partie du succès du film sur ses épaules. Dans la version américaine de Godzilla, le comédien Raymond Burr fait de la présence passive, afin que les spectateurs occidentaux puissent voir un visage familier au milieu de tous ces acteurs japonais inconnus. Le procédé, douteux, sera souvent employé par les distributeurs américains pour d’autres films fantastiques nippons. Il faudra plusieurs années pour que le public américain et européen puisse à nouveau visionner le film d’Inoshiro Honda dans sa version originale, expurgée de ces compléments facultatifs.
© Gilles Penso
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