Kenneth Branagh suit la trace du Dracula de Francis Coppola pour tenter une adaptation fidèle du roman de Mary Shelley
MARY SHELLY’S FRANKENSTEIN
1994 – USA
Réalisé par Kenneth Branagh
Avec Kenneth Branagh, Robert De Niro, Helena Bonham Carter, Tom Hulce, Aidan Quinn, Ian Holm, Richard Briers, John Cleese
THEMA FRANKENSTEIN
Comme il le fit pour son Dracula, Francis Ford Coppola a annoncé ce Frankenstein comme l’adaptation la plus fidèle qui soit au texte initial. Le film de Kenneth Branagh est certes très proche du roman de Mary Shelley, la seule grosse dérogation concernant la fabrication de la compagne du monstre (une concession au texte initial entrée dans les mœurs depuis La Fiancée de Frankenstein). Mais la fidélité absolue est-elle un gage de réussite ? A vrai dire, les excès romantiques du 19ème siècle, que le roman cultive jusqu’à l’excès (sentiments exacerbés, sensibilité à fleur de peau, longs monologues grandiloquents), passe mal le cap de l’écrit à l’écran. Du coup, les larmoyances de Kenneth Branagh, endossant lui-même le rôle du jeune Victor Frankenstein, et les violons omniprésents du compositeur Patrick Doyle prennent une tournure anachronique. « Kenneth Branagh est l’homme le plus drôle que je connaisse », nous affirme pourtant Doyle. « Je suis régulièrement pris de fous rires à ses côtés. Mais les gens drôles sont souvent capables de faire des choses étonnamment sérieuses. Souvent, c’est des ténèbres qu’ils tirent leur humour. Après tout, la vie est à la fois drôle et tragique. » (1)
Frankenstein aurait pu jouer de cette dualité, mais il s’avère désespérément monocorde. La théâtralisation qui le caractérise fonctionnait dans Beaucoup de bruit pour rien, dans la mesure où le film prenait les allures enjouées d’un conte, mais pas dans un Frankenstein visant la crédibilité historique et le réalisme brut. D’autre part, le passé nous a prouvé que les adaptations les plus réussies du texte de Shelley étaient souvent celles qui s’éloignaient du verbe pour n’en conserver que l’esprit (en particulier les classiques de James Whale et Terence Fisher). Il faut malgré tout reconnaître que les effets de style de Branagh insufflent une belle énergie aux scènes clefs du film, comme la frénésie des expériences de Frankenstein (les tournoiements incessants du steadicam traduisant le vertige dans lequel Victor, aveuglé par ses travaux, est entraîné), l’émergence de la créature mâle (où, comme dans un cauchemar, le savant et le monstre n’en finissent plus de perdre l’équilibre dans le liquide amniotique au sein d’un plan séquence truffé de jump-cuts), ou la pendaison du cul-de-jatte raccordée dans le mouvement avec un verre posé brusquement sur une table.
Entre réalisme brut et épure théâtrale
Mais ces moments inspirés ne sont qu’épisodiques, cette inégalité se répercutant sur tous les aspects artistiques du film. C’est notamment le cas des décors qui oscillent entre le réalisme brut (les rues d’Ingolstadt), la carte postale grandiose (les montagnes de Genève) ou l’épure digne d’une scène de théâtre (la maison des Frankenstein). Même le casting laisse perplexe. Car Branagh n’est pas le plus convaincant des docteurs Frankenstein, et Robert De Niro, couturé par de grossières cicatrices qui se résorbent progressivement, offre une prestation très en deçà des capacités que nous lui connaissons. Les bonnes surprises viennent plutôt des seconds rôles, comme Ian Holm en père de Victor, Tom Hulce en Henry Clerval ou John Cleese méconnaissable sous la défroque du professeur Waldman.
(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2007
© Gilles Penso
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