Produite par Thomas Edison, la première adaptation officielle du roman de Mary Shelley transforme l'expérience scientifique en une sorte de rituel alchimique
FRANKENSTEIN
1910 – USA
Réalisé par J. Searle Dewley
Avec Charles Stanton Ogle, Augustus Philips, Mary Fuller
THEMA FRANKENSTEIN
Financé par le studio de Thomas Edison, ce Frankenstein de douze minutes est la première adaptation cinématographique du roman de Mary Shelley. C’est, pour être honnête, l’un de ses seuls mérites majeurs, dans la mesure où il s’agit d’une relecture plutôt simpliste et primaire du texte original. Augustus Philips y joue le jeune Frankenstein. Au début du film, il quitte son père et sa fiancée pour poursuivre ses études de médecine. Deux ans plus tard, sans que l’on ne sache ni pourquoi, ni comment, le jeune homme a découvert « le mystère de la vie ». Pour mettre en pratique ses connaissances nouvellement acquises, il décide de créer un être humain de toutes pièces. « Chérie », écrit-il à sa promise, « ce soir mon ambition sera assouvie : j’ai découvert le secret de la vie et de la mort, et d’ici quelques heures, je donnerai la vie à l’humain le plus parfait que le monde ait connu. Quand j’aurai accompli ce merveilleux travail, je viendrai te demander ta main. » A vrai dire, l’expérience décrivant l’élaboration de la créature semble plus se rattacher à l’alchimie ou la sorcellerie qu’à une pratique scientifique quelconque, dans la mesure où Frankenstein mélange toutes sortes d’ingrédients fumeux et vaporeux dans un grand chaudron, futur berceau du monstre.
La naissance de « la bête » est le véritable morceau d’anthologie du film. Car la forme squelettique, fumante et vaguement humanoïde qui s’extrait de la grande cuve est une vision de cauchemar étonnante, mixant diverses techniques habiles : marionnette mécanique, projection en marche arrière, pyrotechnie… Lorsque survient enfin le monstre, c’est Charles Ogle, un mime au visage particulièrement expressif alors âgé de quarante-cinq ans, qui lui prête ses traits. Selon la même méthode que Lon Chaney, Ogle composa lui-même son maquillage monstrueux, arborant un crâne proéminent, une longue tignasse désordonnée, des yeux exorbités et une mâchoire hideuse, le tout surmontant un corps contrefait et bossu. Sa première apparition, penché les doigts crispés au-dessus de son créateur terrifié, est très impressionnante, rivalisant sans rougir avec des icônes telles que Le Fantôme de l’Opéra de Chaney ou le Nosferatu de Murnau.
« Vaincu par l'amour »
Mais pourquoi l’« être humain parfait » tant convoité s’est-il mué en être monstrueux et diabolique ? S’éloignant des écrits de Mary Shelley, le scénario propose une explication pour le moins évasive, par l’entremise d’un carton expéditif : « Au lieu de créer un humain parfait, l’esprit maléfique de Frankenstein crée un monstre. » Sans doute faut-il lire dans cette réinterprétation une allusion à la dualité qui guette tout scientifique, tour à tour humaniste et apprenti sorcier. Le monstre prenant la fuite, Frankenstein retrouve les siens et décide d’épouser sans plus tarder sa bien-aimée. Mais le soir des noces, alors que tous les invités rentrent chez eux, la créature revient hanter le jeune docteur. Le jeu de cache-cache auquel ils se livrent fait beaucoup perdre de a superbe au monstre, la stature peu impressionnante d’Ogle et ses allures de Quasimodo minimisant l’impact de ses interventions. Jusqu’à un final bizarre où le Monstre, effrayé par son propre reflet dans un miroir, disparaît purement et simplement, « vaincu par l’amour. »
© Gilles Penso