ENTER THE VOID (2009)

Gaspar Noé nous invite à une expérience sensorielle unique en transportant ses protagonistes au seuil de la mort

ENTER THE VOID

2009 – FRANCE / ALLEMAGNE / ITALIE

Réalisé par Gaspar Noé

Avec Nathaniel Brown, Paz de la Huerta, Cyril Roy,Emily Alyn Lind, Jesse Huhn, Olly Alexander, Masato Tanno

THEMA MORT

Un film de Gaspar Noé est toujours un choc. Provocateur, diviseur d’opinions, expérimentateur, le jeune réalisateur ne laisse jamais indifférent. Pourtant, Enter the Void marque une certaine rupture avec ses œuvres précédentes. Car si Carne, Seul contre Tous et Irréversible étaient des films « coup de poing » jouant avec le seuil de tolérance des spectateurs en exposant des séquences de violence crues parfois à la limite du supportable, Enter the Void se veut moins agressif. Pour autant, Noé n’adoucit pas son style, osant une poignée de scènes organiques que les films pornographiques les plus extrêmes n’ont jamais montré, et poussant le traitement visuel au point de faire de son long-métrage l’un des défis technologiques les plus fous jamais tentés à l’écran. « Nous savions, en lisant le scénario de Gaspar Noé, que la plupart des images de son film allaient passer par un traitement numérique », explique Geoffrey Niquet, superviseur des effets visuels pour la société Buf. « Et au final, toutes les images du film sont truquées, ce qui représente une masse de travail considérable par rapport à un budget de film d’auteur. Si Buf n’était pas entré en coproduction, le devis des effets spéciaux aurait été tellement énorme que le film n’aurait pas pu se monter. » (1) Dès le générique de début, le ton est donné : sur une musique électronique au tempo endiablé, les noms de tous les membres de l’équipe du film s’enchaînent à une vitesse supersonique, adoptant des typos, des polices et des couleurs radicalement différentes, une entrée en matière qui annonce une volonté manifeste de ne pas entrer dans le rang.

L’histoire de Enter the Void est celle d’Oscar et Linda, un frère et une sœur marqués par la mort tragique de leurs parents dans un accident de voiture. Expatriés au Japon, ils gagnent leur vie en errant dans les bas-fonds, lui comme dealer, elle comme strip-teaseuse. Mais un jour Oscar, traqué par la police, est touché par une balle. Entre la vie et la mort, il connaît une expérience extra-corporelle qui va le faire voyager entre le présent et le passé, la réalité et l’hallucination, à travers plusieurs niveaux de conscience… En perpétuelle élévation, flottant au-dessus des décors et des personnages, la caméra de Gaspar Noé nous invite à un trip hallucinogène inédit, mixage de prises de vues réelles, d’effets numériques complexes et d’images de synthèse photoréalistes.

Voyage métaphysique

Mais ce voyage métaphysique ne serait qu’une belle expérience picturale si les comédiens ne donnaient pas autant de leur personne. En ce sens, la prestation de Paz de la Huerta, dans le rôle de Linda, est impressionnante. A fleur de peau, n’hésitant jamais à prêter son corps aux séquences les plus extrêmes et les plus crues, elle porte une grosse partie de l’impact du film sur ses épaules, jusqu’à une séquence finale incroyable faisant écho au Livre des Morts tibétain cité dès les premiers dialogues de ce long-métrage décidément atypique. Sans doute manque-t-il à Enter the Void une dimension « affective ». Car en optant pour des angles de vue délibérément atypiques (100% subjectif, derrière la nuque d’Oscar, en plongée totale), Gaspar Noé nous incite à un recul permanent qui ne gêne certes pas l’expérience sensorielle mais empêche en revanche une pleine empathie avec les protagonistes. Incapables de croiser leurs regards, les spectateurs passent à côté de l’implication émotionnelle nécessaire à un phénomène d’identification. Nous suivons donc ce récit aérien avec intérêt mais sans passion, et au bout de 150 minutes, le temps finit par sembler long. Mais comment ne pas saluer le courage et le grain de folie d’un réalisateur s’efforçant de repousser sans cesse les limites des règles filmiques habituelles pour imposer un univers résolument personnel ?

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2010

 

© Gilles Penso 

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