John Landis livre une version personnelle du fameux récit des profanateurs de sépultures Burke et Hare, pleine d'humour noir et de dérision
BURKE AND HARE
2010 – GB
Réalisé par John Landis
Avec Simon Pegg, Andy Serkis, Tom Wilkinson, Tim Curry, Jessica Hynes, Isla Fisher, Bill Bailey, David Schofield, Jenny Agutter
THEMA TUEURS I MEDECINE EN FOLIE
A l’exception de sa participation à la série Masters of Horrors, John Landis était porté disparu des écrans depuis de nombreuses années. Son grand retour était donc attendu avec beaucoup de circonspection. L’auteur des Blues Brothers et d’Un fauteuil pour deux allait-il encore réussir à nous faire rire ? La réponse est oui, mais la forme choisie est pour le moins surprenante. Car Landis, connu pour son humour typiquement américain (ne fut-il pas le metteur en scène de moult transfuges du « Saturday Night Live » ?), nous revient avec une comédie 100% anglaise qu’on croirait parfois issue de l’esprit nonsensique des Monty Pythons. « J’adore les Monty Pythons ! », confirme John Landis. « Mais je crois que l’humour du film reste très américain. L’aspect Monty Pythons vient probablement de tous ces personnages en costumes qui s’agitent dans des situations absurdes avec leur accent typiquement anglais. » (1) Témoin cette entrée en matière où un bourreau volubile s’adresse aux spectateurs, dans l’Edimbourg du 19ème siècle, tandis que la foule qui se masse sur la grand-place dans l’attente d’une exécution applaudit soudain à tout rompre avant de reprendre tranquillement le cours de ses occupations. Noyés dans la masse crasseuse de cette ville grouillante, Simon Pegg et Andy Serkis incarnent William Burke et William Hare, deux profanateurs de sépultures qui découvrent que les cadavres se monnaient cher auprès des facultés de médecine. Ils font bientôt fortune en pourvoyant régulièrement le docteur Knox (Tom Wilkinson). Lorsque les corps frais se raréfient, les deux comparses n’hésitent pas à provoquer les trépas pour continuer à faire fructifier leur petite affaire…
Cette histoire folle, inspirée par des faits réels et romancée par Robert Louis Stevenson dans « The Body Snatchers », a déjà fait l’objet de nombreuses adaptations cinématographiques, l’une des plus fameuses étant L’Impasse aux violences de John Gilling avec Peter Cushing dans le rôle de Knox et Donald Sutherland et George Rose dans celui de Burke et Hare. John Landis, en bon cinéphile, n’ignore pas ce patrimoine et en tire parti, nimbant même certaines de ses séquences d’une aura gothique du plus bel effet. « J’étais d’abord fasciné par le fait que Burke et Hare soient des personnages réels », explique le cinéaste. « De nombreux films leur ont été consacrés, j’en ai recensé quatorze ! Ce sont tous des films d’horreur. L’idée qui m’intéressait était de détourner ces abominables personnages issus de la réalité pour les transformer en anti-héros romantiques. Nous avons donc ajouté la petite amie de Hare, qui est une pure fiction. Nous avons également pris quelques libertés avec le photographe français Nicephore Niepce. Il a réellement existé, comme vous le savez sans doute, et il a vraiment réalisé des photographies pour le docteur Knox, mais c’était dix ans plus tard. Nous avons donc déplacé son intervention dans le temps. Ainsi, malgré quelques écarts, nous avons respecté de nombreux éléments de l’histoire vraie. Ironiquement, notre version est peut-être même celle qui se rapproche le plus des faits réels ! » (2) Le gore est aussi convoqué, quoique sous un jour forcément burlesque. Car si Le Loup-Garou de Londres était un film d’horreur teinté d’humour noir, Cadavres à la pelle est une comédie noire saupoudrée d’horreur. La nuance est importante, même si étrangement une œuvre plus récente nous vient naturellement à l’esprit en cours de métrage : le très sombre Sweeney Todd de Tim Burton.
Les sacrifices de la science moderne
Le casting du film, ingénieux, permet à Simon Pegg et Andy Serkis de camper un duo burlesque digne de Laurel et Hardy ou Abbott et Costello, tout en donnant un visage très humain aux résurrectionnistes, dans le mesure où leurs agissements sont guidés par l’amour, l’appât du gain n’en étant que le corollaire. A leurs côtés, Tom Wilkinson et Tim Curry excellent en médecins rivaux, tandis que quelques guest-stars savoureuses telles que Christopher Lee, Ray Harryhausen ou Costa Gavras montrent le bout de leur nez le temps d’une petite apparition. Cerise sur le gâteau : derrière son caractère grotesque, Cadavres à la pelle développe un passionnant discours sur les paradoxes moraux et sociaux d’une science en plein progrès et sur les sacrifices qu’elle semble vouloir réclamer. « Le film raconte un moment clef de l’histoire, qui est la révolution industrielle », explique Landis. « Mais d’où proviennent la plupart des grandes avancées technologiques ? De la guerre. C’est un fait avéré, et quasi-systématique. Partant de là, il est difficile d’appréhender le progrès d’une manière neutre et innocente. » (3)
(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2011
© Gilles Penso