BATMAN (1989)

Tim Burton casse l'image colorée du Batman des sixties pour le muer en héros sombre et tourmenté

BATMAN

1989 – USA

Réalisé par Tim Burton

Avec Michael Keaton, Jack Nicholson, Kim Basinger, Pat Hingle, Billy Dee Williams, Michael Gough, Robert Wuhl

THEMA SUPER-HEROS I SAGA BATMAN I DC COMICS I TIM BURTON

L’homme chauve-souris imaginé par Bob Kane s’anima dans deux serials des années 40 avant de devenir le héros d’une série télévisée semi-parodique au milieu des années 60. Pour relancer la franchise, les studios Warner décident au cours des années 80 de revenir aux sources du comic book. Le double succès de Pee-Wee et Beetlejuice finissent de convaincre les cadres du studio que la personnalité atypique de Tim Burton et les suffrages qu’elle s’attire en font le candidat idéal pour restituer la vision gothico-futuriste de la bande dessinée originale. Les producteurs convoquent deux superstars, Jack Nicholson dans le rôle du Joker et Kim Basinger pour incarner la journaliste Vicki Vale. En acceptant un tel casting, Burton peut imposer son acteur principal : Michael Keaton, ex-fantôme hystérique de Beetlejuice. Là où l’on imagine un athlète musclé (Alec Baldwin, Mel Gibson, Charlie Sheen et Pierce Brosnan sont tour à tour envisagés), le cinéaste prend ainsi le spectateur par surprise et lui offre le super-héros le plus humain qui soit. A l’annonce de ce choix de casting, une spectaculaire levée de boucliers s’amorce auprès de la large communauté des fans de comic books qui ne sont pas toujours réputés pour leur ouverture d’esprit. Des dizaines de milliers de lettres de protestations inondent les bureaux de Warner et la presse s’empare même de l’affaire qui prend des proportions alarmantes. Mais Tim Burton tient bon et le studio est solidaire de ce choix. Et de fait, les meilleures scènes du film sont probablement celles qui mettent en scène Bruce Wayne sans son masque. Car selon le raisonnement du cinéaste, un personnage athlétique et héroïque n’aurait nul besoin de cacher sa fragilité physique et psychologique sous le costume d’une chauve-souris effrayante.

La schizophrénie du héros de Batman est sans doute l’aspect qui intéresse le plus Burton. Voilà pourquoi le réalisateur et son chef costumier Bob Ringwood redéfinissent complètement le costume du super-héros, optant pour une panoplie aux allures d’armure sombre, bien loin du costume bleu et souple de la série TV. « Je dois avouer que les gens du studio croyaient que mon Batman serait trop noir », nous raconte Burton. « Mais maintenant, comparé à ce qui se fait aujourd’hui, c’est un manège pour enfants ! » (1) Les réinventions graphiques de l’univers de Batman ne s’arrêtent pas là. Assumant l’influence du Los Angeles de Blade Runner, Burton demande au directeur artistique Anton Furst de donner corps à un Gotham City nocturne et gothique aux tonalités presque monochromes. « A l’époque, je dessinais le moindre cadrage, le moindre mouvement de caméra, le moindre regard des personnages », explique Burton. « Aujourd’hui encore, je continue à dessiner des choses et d’autres tout au long de la préparation des films. Je fais quelques aquarelles montrant les personnages principaux. Ça m’aide dans mes recherches et ça fait partie du processus. » (2) D’un point de vue visuel, Batman est donc une pure merveille. Le compositeur Danny Elfman se met au diapason, troquant la chanson pop « Batman » qui était jadis sur toutes les lèvres contre un thème menaçant et alerte très inspiré. Mais un déséquilibre se fait sensiblement sentir tout au long du métrage, Burton alternant les séquences de comédie presque intimistes (Bruce Wayne qui cherche le moyen de dire à Vicky Vale qu’il est Batman sans y parvenir) avec des passages mouvementés certes bien menés mais souvent dénués de personnalité. A l’image de son héros tourmenté, le réalisateur semble en proie à la schizophrénie, soucieux de rester fidèle à son sens de l’exubérance tout en respectant les demandes du studio. Certaines séquences semblent ne pas savoir sur quel pied danser, comme ces moments d’action époustouflants qui s’enchaînent avec des gags absurdes (le Joker qui abat la Batwing avec un pistolet par exemple). Du coup le combat final, qui aurait dû être épique, n’est qu’une bouffonnade digne d’un cartoon qui se prive d’enjeux dramatiques dignes de ce nom.

Un justicier tapi dans l'ombre

Pour que Batman soit une pleine réussite, sans doute aurait-il fallu que Burton s’intéresse autant à son héros qu’à son vilain, car le Joker vole systématiquement la vedette au justicier masqué et le transforme souvent en pantin insipide. Mais pour être honnête, le réalisateur a sans doute péché par excès de fidélité à l’essence même des personnages. Tels qu’ils sont définis dans le comic book d’origine, Batman aime en effet rester tapi dans l’ombre tandis que le Joker adore se placer sous les feux des projecteurs. Malgré ses nombreux déséquilibres (qui feront plus tard dire à Burton que Batman est l’un de ses films dont il se sent le moins proche), le succès est au rendez-vous, aidé sans aucun doute par l’une des campagnes publicitaires les plus colossales de l’histoire du Septième Art. A l’époque, il est en effet difficile de mettre un pied dehors sans voir placardé sur les murs de toutes les grandes villes du monde le célèbre logo en forme de chauve-souris ou sans entendre la « Batdance » de Prince alors diffusée en boucle sur toutes les radios. A ce triomphe public s’ajoute une reconnaissance de la profession, le film remportant en 1990 l’Oscar des meilleurs décors, attribué à Anton Furst et à son décorateur de plateau Peter Young.


(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2008

© Gilles Penso

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