Steven Spielberg offre une nouvelle fois un rôle sur mesure à Richard Dreyfuss, celui d'un fantôme qui n'a pas encore fait le deuil de sa vie terrestre
ALWAYS
1989 – USA
Réalisé par Steven Spielberg
Avec Richard Dreyfuss, Holly Hunter, Brad Johnson, John Goodman, Audrey Hepburn, Roberts Blossom
THEMA FANTÔMES I DIEU, LES ANGES ET LA BIBLE I SAGA STEVEN SPIELBERG
Si de nombreux classiques du cinéma hollywoodien ont bercé les jeunes années de Steven Spielberg et ont influencé ses films, il ne s’était jusqu’alors jamais laissé tenter par l’exercice du remake. Always fait donc figure d’exception. Il faut dire que le film qui sert ici de modèle, Un nommé Joe, occupe une place particulière dans le cœur du cinéaste. Bercé depuis longtemps par les récits de son père, aviateur pendant la seconde guerre mondiale, le jeune Steven est particulièrement touché par le film de Victor Fleming lorsqu’il le découvre sur son petit écran. Il y retrouve les héros volants de la deuxième guerre mondiale qui le fascinent tant. Mais une autre composante du film le séduit : le caractère purement fantastique du scénario, qui propose une vision très originale de l’au-delà, des fantômes et des anges. Au lieu de situer Always en pleine seconde guerre mondiale, le récit est modernisé et les aviateurs de guerre sont devenus des pilotes de Canadairs. L’ennemi est désormais universel. C’est le feu qui ronge les forêts. Le film s’avère généreux en époustouflants combats contre le feu, entièrement reconstitués via des effets visuels à base de maquettes supervisés par ILM. Toutefois, la voie qu’emprunte Always s’éloigne du spectaculaire au profit d’un fantastique empreint de légèreté, de simplicité et de tendresse, voire de poésie en certains moments inspirés. Le choix des comédiens n’y est pas étranger.
Endeuillée s’efforçant maladroitement de réfréner ses émotions, Holly Hunter est très convaincante dans le rôle de Dorinda, qui vient de perdre son bien-aimé au cours d’un de ces crashs aériens qu’elle redoutait depuis longtemps. Successeur idéal de Spencer Tracy, Richard Dreyfuss campe un fantôme très attachant, son personnage étant sans cesse partagé entre l’humour et l’amertume. Le concept qui sous-tend le film est lui-même fascinant puisqu’il s’agit d’une métaphore de l’inspiration. Pete Sandich, devenu ange gardien, doit servir de guide spirituel à un jeune pilote en s’asseyant derrière lui et en lui murmurant un code de conduite, comme le fit sans doute pour lui un autre fantôme lorsqu’il était vivant. Spielberg travaillant lui-même ici sous l’influence de Victor Fleming, la mise en abyme s’avère délectable.Entouré de son équipe habituelle (John Williams à la musique, Michael Kahn au montage, Kathy Kennedy et Frank Marshall à la production), Spielberg fait cependant appel pour la première fois au directeur de la photographie Mikael Salomon, qu’il choisit après avoir découvert son travail impressionnant sur Abyss de James Cameron, à qui Always rend un petit hommage au cours d’un climax situé sous les eaux. Cameron et Spielberg se renvoient ainsi la balle, dans la mesure où le final d’Abyss s’inspirait pour sa part de celui de Rencontres du troisième type.
Les adieux d'Audrey Hepburn
Même si les dialogues écrits par le scénariste Jerry Belson sont souvent brillants, Spielberg continue à préférer employer le langage cinématographique au lieu du texte pour véhiculer les émotions les plus fortes. Témoin la première scène d’Always, dans laquelle Dorinda manipule machinalement une petite cuiller pendant que Pete fait un atterrissage forcé dans des circonstances très risquées. Une fois qu’il est sain et sauf et qu’elle soupire, la caméra cadre la cuiller passablement tordue posée sur une table. L’ustensile quasiment plié en deux symbolise mieux que n’importe quel dialogue l’état de tension extrême vécu par le personnage. Pour autant, Spielberg ne storyboarde quasiment pas son film afin de se laisser une grande marge de manœuvre et d’improvisation pendant le tournage. Bercé par les mélodies éthérées de John Williams et les vieux standards des Platters, Always est un film débordant de charme, mais il ne rencontre guère son public et sombre dans l’oubli. Paradoxalement, le Ghost de Jerry Zucker, qui reprend de manière beaucoup moins subtile le principe du scénario d’Always et plusieurs de ses idées fortes, connaîtra un succès bien plus important. La comédie romantique amère et fantastique marque enfin les adieux d’Audrey Hepburn, qui incarne ici un ange. C’est une manière supplémentaire pour Spielberg d’affirmer que son film vit sous l’influence des anciennes gloires d’Hollywood et de lui rendre hommage à sa manière. Ce sera le dernier rôle de la star de Diamants sur canapé et My Fair Lady, avant qu’elle ne parte rejoindre à son tour les étoiles du Paradis du Cinéma.
© Gilles Penso
Partagez cet article