La Mort aux trousses était une superproduction colossale aux moyens impressionnants et au casting prestigieux. Pour son film suivant, Alfred Hitchcock décida de revoir ses ambitions à la baisse, pour éviter la surenchère. Psychose est donc une œuvre plus minimaliste, et son impact n’en est que plus fort. Le scénario de Joseph Stefano adapte assez fidèlement le roman homonyme de Robert Bloch, édité l’année précédente. Mais là où l’écrivain évacuait tout glamour, décrivant son héroïne Mary Crane avec « un visage ravagé, aux traits tirés » et affublant son anti-héros Norman Bates d’« un gros visage à lunettes d’où sortait une voix hésitante et douce », Hitchcock opte pour des choix plus séduisants. Mary – rebaptisée Marion – a désormais les traits particulièrement avenants de Janet Leigh, et Norman le visage sympathique et la silhouette svelte d’Anthony Perkins. Pourquoi ? Pour l’agrément du spectateur, sans doute, mais aussi et surtout pour que le choc gigantesque, surgissant à un tiers du métrage, n’en soit que plus fort. Car Psychose est une véritable montagne russe horrifique.
Lorsque le film commence, Marion demande à son amant de l’épouser. Mais il a des difficultés d’argent. Elle se rend alors à son travail, vole à son patron une forte somme d’argent et s’enfuit en voiture. La nuit tombée, elle trouve refuge dans un motel dirigé par un jeune homme sympathique mais un peu timide, Norman Bates, dont la vieille mère vit dans la grande bâtisse qui se dresse près du motel. Alors qu’elle prend une douche, Marion est sauvagement assassinée par une silhouette féminine qui s’enfuit rapidement. En découvrant le cadavre, Norman s’affole, semble croire que sa mère est responsable, et s’empresse de dissimuler le corps… Le film le plus célèbre du réalisateur le plus célèbre du monde, maintes fois copié, plagié et refait, est donc un formidable exercice de style sur la manipulation du spectateur et le faux-semblant.
Un magistral faux départ
En ce sens, la première partie de Psychose est l’un des plus magistraux faux départs qu’il nous ait été donnés de voir. Nous sommes trompés à la fois sur le genre du film, sur son sujet et sur le personnage principal. En effet, ce qui ressemblait à un récit policier bascule brusquement dans l’épouvante, l’argent volé et la fuite ne sont qu’anecdotiques, et celle qui semblait être l’héroïne meurt en plein milieu du film ! Les scènes de meurtres sont d’autant plus efficaces qu’Hitchcock les suggère sans rien montrer, les violons déchirants de Bernard Herrmann décuplant leur impact. Tourné avec une équipe réduite, un budget de téléfilm et une pellicule en noir et blanc, Psychose contourne en beauté ces contraintes, le réalisateur ayant concentré ses efforts sur quelques scènes clefs qui resteront à tout jamais gravées dans la mémoire des spectateurs, tout particulièrement le meurtre sous la douche, l’assassinat d’Arbogast et le coup de théâtre final, donnant soudain un sens nouveau à l’ensemble de l’intrigue. Anthony Perkins est si convaincant en schizophrène inhibé qu’il aura dès lors bien du mal à changer de registre, les réalisateurs l’ayant un peu vite catalogué sous l’étiquette exclusive des tueurs psychopathes.
© Gilles Penso
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