Une adaptation officieuse du "Dracula" de Bram Stoker où surgit un vampire hideux et terriblement iconique
Pour des raisons de droits littéraires non acquis par F.W. Murnau, ce film phare de l’histoire du cinéma fantastique est une adaptation officieuse du roman de Bram Stoker. Le cinéaste s’était d’ailleurs déjà prêté en 1920 au jeu avec La Tête de Janus, une transposition libre de « Docteur Jekyll et Mister Hyde ». Dans Nosferatu, Dracula est devenu le comte Orlock, mais l’histoire, située en 1838, est rigoureusement similaire, ce qui valut à Murnau un procès dont l’issue faillit être la destruction pure et simple du négatif de son film. La veuve de Bram Stoker apprécia en effet très peu cette exploitation «pirate» de l’œuvre de son illustre époux. Substitut du protagoniste initial Jonathan Harker, un jeune clerc de notaire nommé Hutter (Gustav Von Wangenheim), vient conclure une vente avec Orlock (Max Schreck), châtelain des Carpathes, qui n’est autre qu’un vampire assoiffé d’hémoglobine. Chaque soir, il part en quête de sang frais dans le voisinage. Surnommé « Nosferatu », c’est à dire « le mort-vivant », il répand l’horreur et la peur, accompagné d’une armée de rats porteurs de la peste. Horrifié, Hutter prend la poudre d’escampette en direction de la ville de Viborg, où l’attend sa jeune épouse Ellen (Greta Schroeder). Mais Orlock l’y attend déjà, s’installant dans une vieille maison croulante à deux pas du domicile des époux, et menaçant de vampiriser Ellen…
En tournant Nosferatu, Murnau clama haut et fort que ce film n’était absolument pas expressionniste, se plaçant du même coup à contre-courant d’œuvres contemporaines telles que Le Cabinet du docteur Caligari ou Docteur Mabuse. D’ailleurs, pour bien marquer la différence, le cinéaste est parti tourner entre août et octobre 1921 dans des sites extérieurs naturels, principalement aux Carpathes et dans les villes côtières de la mer baltique. Les rues où déambule le vampire proviennent ainsi des cités allemandes Lauenburg, Rostok, Lübeck et Wismar. Le château slovaque d’Oravsky devint celui d’Orlock, les plans marins furent captés à Helgoland et ceux des montagnes en Silésie. Malgré cet éloignement des plateaux de tournage, les éclairages, les jeux d’ombres et de lumières et la prestation des comédiens se rattachent ouvertement à l’expressionnisme, associé à tout jamais au cinéma allemand de l’entre deux guerres. Le célèbre plan du vampire gravissant en ombre chinoise un escalier est d’ailleurs devenu l’un des symboles les plus forts de ce courant artistique.
L'ombre rampante de Max Schreck
Si Max Schreck, derrière un maquillage toujours aussi impressionnant, sait provoquer à chacune de ses apparitions un véritable sentiment d’angoisse cauchemardesque (même s’il n’est physiquement présent qu’une dizaine de minutes au sein du métrage), le reste du film, lui, a plus difficilement passé le cap des années. Certains effets, en particulier les accélérés, ont même pris une allure comique, alors que le sentiment recherché à l’époque était évidemment inverse. Le personnage féminin principal joue également en défaveur du film, car en lieu et place de la belle vierge évanescente promise par le récit, nous avons droit à la figure rude de Greta Schroeder, aux charmes très discutables. Mais Nosferatu demeure une pièce maîtresse, qui donna le la pour toutes les futures adaptations, officielles ou non, du roman de Stoker.
© Gilles Penso
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