FRANKENSTEIN (1931)

Infidèle mais superbement poétique, cette adaptation du roman de Mary Shelley a consacré Boris Karloff comme star de l'épouvante

FRANKENSTEIN

1931 – USA

Réalisé par James Whale

Avec Boris Karloff, Colin Clive, Dwight Frye, Mae Clarke, John Boles, Edward Van Sloan, Frederick Kerr, Lionel Belmore

THEMA FRANKENSTEIN I SAGA UNIVERSAL MONSTERS

En 1931, la firme Universal vient de produire une adaptation du roman « Dracula » et met en chantier dans la foulée ce Frankenstein inspiré autant du livre de Mary Shelley que de la pièce de Peggy Webling. Pour le monstre, Universal pense immédiatement à Bela Lugosi, qui fut un Dracula très marquant. Robert Florey tourne donc une bobine d’essai avec l’acteur maquillé par Jack Pierce, créateur de tous les monstres d’Universal. Mais Lugosi refuse finalement le rôle. L’idée de porter un maquillage aussi lourd et de ne pas prononcer une seule ligne de dialogue lui déplaît. Cette décision entraîne un bouleversement dans le projet. La réalisation du film est alors confiée à James Whale, qui vient d’adapter avec succès plusieurs pièces. Whale choisit Colin Clive dans le rôle de Frankenstein (tous deux ont déjà collaboré dans Waterloo Bridge), mais on cherche toujours quelqu’un pour incarner le monstre. Le choix se porte finalement sur un acteur peu connu, âgé de 44 ans, qui a pourtant tourné dans plus de 70 films, et que Whale repère dans The Criminal Code (1931) de Howard Hawks où il joue un bagnard. Cet acteur s’appelle William Henry Pratt, mais il va devenir célèbre sous le nom de Boris Karloff.

Karloff apporte à la créature un énorme potentiel pathétique et émotionnel, poussant des cris d’enfant apeuré, tendant des mains hésitantes pour signifier son incompréhension. Sa première apparition est d’autant plus marquante qu’elle est sobre, sans effets d’épouvante appuyé (si ce n’est une série de gros plans de plus en plus rapprochés sur son visage, sous des angles différents), et dans un silence total. Il est d’ailleurs étonnant de constater que ce Frankenstein, pourtant réalisé à l’orée du cinéma parlant, soit entièrement dénué de musique, si ce n’est dans ses deux génériques. Le maquilleur Jack Pierce, quant à lui, réalise sans doute ici la plus grande de ses créations. Ce crâne carré et cicatrisé, ces paupières lourdes, ce teint blafard, complètement imaginaires puisque la description du monstre dans le roman est très évasive, se sont irrémédiablement imprimés dans l’inconscient collectif. Pour entretenir le mystère, le nom de Karloff n’apparaît pas sur le générique de début. Ainsi, la créature demeure un être sans nom.

« Maintenant, je sais ce que c'est d'être Dieu ! »

Ici, Frankenstein ne se prénomme pas Victor mais Henry, et il est assisté de Fritz le bossu. La nuit, tous deux déterrent les cadavres des cimetières et s’approvisionnent en morceaux de corps humains à partir desquels ils confectionnent la fameuse créature. Mais Fritz, par mégarde, vole le cerveau d’un assassin. Captant l’électricité, Frankenstein donne vie au corps… Si, dans le roman de Shelley, le savant se laissait aller à des envolées lyriques comme « la vie et la mort m’apparaissaient comme des limites idéales que je devrais d’abord franchir pour déverser sur notre monde ténébreux un torrent de lumière », celui du film déclare carrément : « Maintenant, je sais ce que c’est d’être Dieu ! » (une phrase qui échaudera considérablement la censure de l’époque). Au cours d’un final grandiose, le monstre s’évade et disparaît avec son créateur dans les flammes d’un vieux moulin. Même s’il pèche par infidélité au texte original, ce Frankenstein s’est imposé dès sa sortie comme l’adaptation ultime du récit de Mary Shelley et demeure aujourd’hui encore une référence absolue et indétronable.

© Gilles Penso

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