Ce téléfilm haletant tiré d'une nouvelle de Richard Matheson expose déjà tout le talent d'une jeune réalisateur nommé Steven Spielberg
DUEL
1971 – USA
Réalisé par Steven Spielberg
Avec Dennis Weaver, Jacqueline Scott, Eddie Firestone, Lou Frizzell, Gene Dynarski, Lucille Benson, Tim Herbert
THEMA TUEURS I SAGA STEVEN SPIELBERG
La télévision a joué un rôle majeur dans l’apprentissage de Steven Spielberg. Enfant, il y découvrit la série mythique La Quatrième dimension de Rod Serling, mais aussi des classiques hollywoodiens des années 30. En toute logique, c’est sur le petit écran qu’il fit ses premières armes, réalisant le premier coup d’éclat de sa carrière avec ce téléfilm remarquable dont le concept se résume presque à son titre laconique. « Un jour, ma secrétaire chez Universal m’a conseillé de lire le dernier Playboy » raconte-t-il. « Elle venait d’y découvrir une nouvelle écrite par Richard Matheson qui s’appelait « Le duel ». J’ai lu cette histoire étonnante, et j’ai aussitôt vu le film dans ma tête : l’homme, la voiture, le camion. Mais j’ai découvert que quelqu’un avait déjà obtenu les droits d’adaptation chez Universal. Je suis allé voir le producteur George Eckstein et lui ai montré le pilote de la série Columbo que j’avais réalisé, et dont j’étais assez fier. Il l’a beaucoup aimé et a cherché à convaincre les gens d’ABC de me laisser diriger le film. Au départ, ils m’ont trouvé trop jeune. Ils voulaient un vétéran, pas un gamin. George s’est battu pour moi, et a finalement réussi à les persuader que j’étais l’homme de la situation. » (1)
Si l’on résume l’histoire de Duel, il n’y a pas à priori de quoi s’enthousiasmer. Sur une route californienne, David Mann (Dennis Weaver), un automobiliste, a remarqué qu’un énorme camion lui cherche noise, et il essaie de le semer. Bientôt, les provocations du camion dépassent les simples jets de fumée nauséabonde ou les queues de poisson. Le poids lourd tente carrément d’écrabouiller la petite automobile rouge. Terrifié, Mann cherche par tous les moyens, mais en vain, à découvrir l’identité du camionneur fou. Sur un canevas réduit ainsi à sa plus simple expression, Spielberg a bâti une œuvre à suspense aux frontières d’Alfred Hitchcock (on pense à Janet Leigh au volant de sa voiture dans Psychose ou à Cary Grant poursuivi par l’avion de La Mort aux trousses) et de La Quatrième dimension, le rapprochement avec la série de Rod Serling s’expliquant en partie par la présence de Richard Matheson au poste de scénariste. Il est évident, et il le sera encore plus dans la suite de son œuvre, que Spielberg adore plonger les personnages ordinaires dans des situations extraordinaires. L’identification avec David Mann (dont le nom de famille en dit long) n’en est que plus aisée pour le spectateur, ignorant comme lui pourquoi il a été choisi somme cible par un camionneur qui restera une entité complètement mystérieuse. Le doute plane d’ailleurs jusqu’au bout quant à la nature de l’agresseur. Avons-nous affaire à un tueur psychopathe ayant troqué le couteau ou la hache contre un poids-lourd ? S’agit-il d’une entité surnaturelle, ce qui expliquerait la vitesse impensable à laquelle se déplace le semi-remorque lors de ses « accès de fureur » ? A moins qu’il n’y ait aucun chauffeur et que le camion soit animé d’une vie propre, comme le laisse imaginer la séquence du snack-bar où David Mann cherche en vain à identifier le routier alors que le véhicule semble l’attendre, seul, sur le parking ?
L'homme et le monstre
Le spectateur se surprend à applaudir la scène finale au cours de laquelle le camion monstrueux explose enfin, libérant le héros et le public de ce cauchemardesque poursuivant. « Road movie » d’un genre très particulier tourné en peu de temps, avec un petit budget et un matériel léger, Duel contourne ces handicaps par un découpage savant, à base de multi-angularités et de jeux sur les avant-plans qui deviendront les marques de fabrique de Spielberg. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le découpage des séquences où la voiture est prise en chasse par le poids lourd sera repris presque à l’identique dans Jurassic Park au moment où le tyrannosaure course la jeep. Car l’efficacité des cadrages et du montage ne dépend ni du budget, ni de l’époque. C’est une valeur sûre universelle. L’affiche de Duel transfigure d’ailleurs l’image du camion jusqu’à lui donner les allures d’un dinosaure carnassier, sosie du tyrannosaure du poster de Jurassic Park. Prémonition ou suite dans les idées ? A la base, Duel est un téléfilm exemplaire que bon nombre de productions conçues pour le grand écran devraient prendre pour modèle, tant sa mise en scène et son art de la capture de l’intérêt sont savamment maîtrisés. Il connaîtra d’ailleurs les honneurs d’une sortie en salle en Europe, suite à un remontage et à l’ajout de quelques scènes additionnelles.
(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2012.
© Gilles Penso
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